Interview - Les agriculteurs sont dans la rue. Comme un air de déjà-vu. Le système des subventions est à bout de souffle. Et si on les rémunérait autrement nos agriculteurs, sur la base des services rendus à l'environnement par exemple. Question posée à l'agronome Marc Dufumier par TerraEco.
Comment peut-on aider aujourd’hui les
agriculteurs ?
Marc Dufumier |
« Un peu d’histoire pour commencer. Au lendemain de la Seconde
guerre mondiale, on a rémunéré les agriculteurs sur le prix de leurs produits,
grâce à des protections aux frontières et des taxes douanières. Faire des
céréales, du sucre, du lait et de la viande (dans une moindre mesure) était un
gage de stabilité. On est alors rapidement passé d’une situation déficitaire
sur ces produits à une situation excédentaire. A l’inverse, le système
dissuadait de cultiver des protéagineux [1].
[1] des plantes légumineuses riches en protides, comme la luzerne, le trèfle ou le lupin, utilisées pour nourrir le bétail
Puis, pour faire face à l’excédent et maintenir le niveau de
production, première grosse erreur, on a mis en place des subventions à
l’exportation, ce qui a constitué un dumping inacceptable et causé un grand
tort aux pays pauvres. Aujourd’hui, on s’est aligné sur les prix
internationaux, mais on rémunère toujours les agriculteurs par des aides
compensatoires, ce qui, aux yeux des Brésiliens ou des Argentins, reste une
forme de dumping, d’ailleurs dénoncée par l’OMC. Il faut vraiment en finir avec
ces aides, ces subventions de la PAC sont illégitimes et, qui plus est,
inégalement réparties. Ça me rend malade d’entendre aujourd’hui certains
agriculteurs demander encore et toujours des subventions ! »
Dans son nouveau projet politique, le PS suggère de « rémunérer
les agriculteurs pour les services environnementaux et sanitaires
rendus ». Est-ce que ça peut être une source de revenu souhaitable et
substantielle pour les agriculteurs de demain ?
« Peut-être. Mais si on veut aider les agriculteurs et les
maintenir droits dans leurs bottes, il faut les rémunérer - et pas seulement
les payer – correctement, et ce d’abord sur la base de leurs produits. Le plus
important, c’est d’agir sur les prix. Ce qui est possible si les produits sont
de qualité, comme le bio ou les appellations d’origine protégées. On peut
rendre ces produits plus accessibles pour le consommateur et plus stables pour
le producteur en systématisant des commandes publiques pour la restauration
collective (des écoles, des entreprises, des hôpitaux...). Cela permettrait en
outre de faire émerger localement des circuits de taille critique et des
centrales d’achat capables de rivaliser avec celles de Carrefour, d’Auchan ou
de Monoprix. Et donc de réduire les coûts de commercialisation.
Ensuite, on pourrait mettre des quotas sur les produits excédentaires.
Ce serait plus juste, car en exportant à bas prix nos surplus de poudre de lait
ou de céréales, on continue de faire souffrir les pays du Sud. Et ce serait
plus équilibré, car en produisant moins ces denrées, on libérerait des terres
pour des prairies temporaires, riches en légumineuses, qui nous éviterait
d’importer du soja OGM. Dans le même mouvement, il faut renforcer les
droits de douane à l’importation sur le soja. Tout le monde y gagnerait. Vous
savez, les Brésiliens eux-mêmes trouvent stupide de produire autant de soja
pour nourrir nos cochons plutôt que de nourrir leur population. Un tel deal
peut se négocier au niveau de l’OMC. »
Et par ailleurs, transformer les agriculteurs en gardiens du temple, en
les payant pour protéger l’environnement, vous y croyez ?
« Rémunérer les agriculteurs sur la base de services
environnementaux rendus à la communauté est une vraie piste. A condition que
cela ne soit pas fixé par un cahier des charges standard rédigé à Paris, mais
qu’on touche réellement à la nature des productions agricoles, via des contrats
négociés localement, par les régions, en évaluant le potentiel du terroir.
C’est un peu le sens des contrats territoriaux d’exploitation que la gauche
veut réactiver. Vous savez, recultiver des légumineuses permet de lutter contre
l’effondrement des abeilles, la rotation des cultures sols favorise la
reconstitution de l’humus dans les sols, remettre des haies est bien utile pour
les coccinelles qui se nourrissent de pucerons, etc. Autant de service rendus à
la biodiversité ! Il y a quelques régions, comme Poitou-Charentes avec son
soutien aux producteurs de lait de chèvre, qui ont bien compris cela. »
Les agriculteurs – les mêmes à qui on demandait hier de se lancer dans
la course aux machines et au rendement - sont-ils prêts à entreprendre de tels
changements ?
« Depuis toujours les agriculteurs disent qu’ils ne veulent pas de
mendicité. Donc on doit pouvoir sortir de la logique subventions/compensations.
S’ils résistent - je ne parle pas là de l’avant-garde syndicale mais du gros
des troupes – c’est parce qu’ils ont fait de lourds investissements pour le
type d’agriculture dominant que l’on connait. Si on veut les faire revenir à
une diversification de leurs activités, il faut des dispositifs très
incitatifs.
Les agriculteurs ont été trompés par l’industrie, par l’État, par les
syndicats. A un céréalier français qui veut aujourd’hui diminuer ses coûts, il
faut dire la vérité : ce n’est pas en élargissant les surfaces qu’il
cultive qu’il parviendra à être plus compétitif ; à ce jeu là, il perdra
toujours face au céréalier ukrainien. Mais il peut y arriver, en diminuant ses
engrais, sa consommation de carburant, en revenant vers des produits de
qualité, de terroir, à une agriculture hautement productive et à forte valeur
ajoutée environnementale. C’est vrai, c’est une révolution des mentalités, et
il y a de quoi être paniqué. Mais c’est aussi parler franc – et c’est ce qu’ils
attendent - que de leur dire qu’il n’y a pas d’autre voie à suivre. Sinon on va
droit dans le mur. »
Marc Dufumier, agronome, est professeur d’agriculteur comparée et
développement à AgroParisTech. Membre du Comité de veille écologique de la
Fondation Nicolas Hulot, il a fait partie du Comité de soutien à Europe
Écologie lors de la campagne des régionales 2010.
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