dimanche 3 juin 2012

L'axe économique Berlin-Pékin à l'épreuve de la crise européenne

Par Anna Villechenon - Le Monde.fr | 21.05.2012
La Chancelière allemande Angela Merkel 
et le premier ministre chinois  Wen
La relation spéciale germano-chinoise constitue "à la fois une chance et un danger pour le reste de l'Europe". C'est la conclusion d'une étude publiée le 14 mai par deux chercheurs du Conseil européen des relations étrangères (European Council on Foreign Relations), Hans Kundnani et Jonas Parello-Plesner, et intitulée "Chine et Allemagne : pourquoi la relation spéciale qui émerge concerne l'Europe". Après dix années d'une lente construction, la "relation spéciale" établie entre Pékin et Berlin pose désormais question, à l'heure où l'Europe fait face à une crise économique sans précédent.


Car avant d'être diplomatique, cette relation s'est construite sur une relation commerciale, comme l'expliquent dans leur étude MM. Kundnani et Parello-Plesner : "Les bases de cette relationpolitique s'appuient sur l'augmentation des relations commerciales entre l'Allemagne et la Chine - et en particulier les exportations de l'Allemagne vers la Chine - durant cette dernière décennie, et elles ont dépassé toutes leurs attentes."

Selon Françoise Lemoine, économiste spécialiste de la Chine au Centre d'études prospectives et d'informations internationales, "en 2010 et en 2011, la moitié de ce qu'importe la Chine en provenance de l'Union européenne vient de l'Allemagne, alors que cette proportion était de 39 % en 2000".

"EXCÉDENT COMMERCIAL SUR LA CHINE"

Ce renforcement du poids de l'Allemagne comme partenaire commercial majeur de la Chine a d'ailleurs participé, selon elle, à porter le commerce européen en Chine. "Si l'Europe n'a pas perdu de parts de marché en Chine - contrairement au Japon ou aux Etats-Unis - ces dix dernières années, c'est essentiellement grâce à l'Allemagne. D'ailleurs, c'est un des rares pays européens à avoir un excédent commercial sur la Chine", souligne-t-elle.

L'Allemagne a notamment profité de l'arrivée récente des Chinois sur le marché du luxe. Depuis quelques années, nombre de géants du luxe s'installent en Chine ou, à l'inverse, sont rachetés par des investisseurs chinois, à l'instar des grandes marques de prêt-à-porter ou des hôtels de luxe. En Allemagne, ce sont principalement "les biens d'équipement et les biens de consommation - particulièrement les voitures allemandes" qui se taillent la part du lion à l'exportation, détaille Mme Lemoine.

"Ces types de biens bénéficient en outre de la bonne réputation liée aux produits allemands. Par ailleurs, on voit dans ces importations de biens de luxe l'expression du pouvoir d'achat croissant d'une toute petite fraction de la population chinoise mais qui, compte tenu de la taille du pays, devient un marché extrêmement important", ajoute-t-elle.

"APPROCHE EUROPÉENNE"

Portée par la force des rapports commerciaux établis entre Pékin et Berlin, l'Union européenne n'a donc pas d'autre choix que de considérer ce nouveau partenaire économique. Pour Françoise Lemoine, "la Chine est ainsi naturellement partie prenante dans les problèmes européens : tout d'abord parce que c'est un pays qui a d'énormes réserves de change, dont une partie est en euros, et qui a donc intérêt à ce que l'euro demeure une monnaie forte, et ensuite, parce que la Chine détient environ 600 milliards d'euros de dette européenne", relève-t-elle. Avant de nuancer : "Pour autant, je ne pense pas qu'il y ait un axe sino-allemand sur la question de la résolution de la crise de la dette européenne."

Bien que croissante, cette relation bute aujourd'hui sur ce qui la caractérise : sa bilatéralité. Car, comme le rappellent les chercheurs Hans Kundnani et Jonas Parello-Plesner dans une tribune du Monde, "l'Allemagne ne doit pas abandonner une approche européenne de la Chine". Une position également soutenue par Mme Lemoine : "La meilleure approche serait de développer une approche européenne globale à l'égard de la Chine, qu'elle soit commerciale ou diplomatique, afin que l'Europe prenne appui sur les rapports établis entre Berlin et Pékin. Si les pays européens veulent développer une approche purement nationale à l'égard de la Chine, tous seront perdants, à l'exception peut-être de l'Allemagne, parce qu'ils ne pèsent pas grand-chose face à la Chine", prévient-elle.

Reste alors à l'Europe à "trouver de manière urgente les moyens d'aider l'Allemagne à être un membre européen loyal dans ses relations avec la Chine", évaluent MM. Kundnani et Parello-Plesner. Une issue là encore partagée par Mme Lemoine : "La seule chance pour l'Europe de s'établir comme partenaire commercial de la Chine sur un pied d'égalité, c'est d'avoir une approche communautaire. A ce moment-là, les pays européens ont la chance d'avoir leur mot à dire en matière commerciale, en matière d'investissement et en matière d'accès au marché".

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