Par Anna Villechenon - Le Monde.fr | 21.05.2012
La Chancelière allemande Angela Merkel
et le premier ministre chinois Wen
|
La relation spéciale germano-chinoise constitue "à la fois
une chance et un danger pour le reste de l'Europe". C'est la conclusion
d'une étude publiée le 14 mai par deux chercheurs du Conseil européen des
relations étrangères (European Council on Foreign Relations), Hans Kundnani et
Jonas Parello-Plesner, et intitulée "Chine
et Allemagne : pourquoi la relation spéciale qui émerge concerne l'Europe".
Après dix années d'une lente construction, la "relation spéciale"
établie entre Pékin et Berlin pose désormais question, à l'heure où l'Europe fait face à une crise
économique sans précédent.
Car avant d'être diplomatique, cette relation s'est construite sur une
relation commerciale, comme l'expliquent dans leur étude MM. Kundnani et Parello-Plesner
: "Les bases de cette relationpolitique s'appuient sur
l'augmentation des relations commerciales entre l'Allemagne et la Chine - et en particulier
les exportations de l'Allemagne vers
la Chine - durant cette
dernière décennie, et elles ont dépassé toutes leurs attentes."
Selon Françoise Lemoine, économiste spécialiste de la Chine au Centre
d'études prospectives et d'informations internationales, "en 2010 et
en 2011, la moitié de ce qu'importe la Chine en provenance de l'Union européenne vient de
l'Allemagne, alors que cette proportion était de 39 % en 2000".
"EXCÉDENT COMMERCIAL SUR LA CHINE"
Ce renforcement du poids de l'Allemagne comme partenaire commercial
majeur de la Chine a d'ailleurs participé, selon elle, à porter le commerce européen en Chine. "Si
l'Europe n'a pas perdu de parts de marché en Chine - contrairement au Japon ou aux Etats-Unis - ces dix
dernières années, c'est essentiellement grâce à l'Allemagne. D'ailleurs, c'est
un des rares pays européens à avoir un excédent commercial sur la Chine",
souligne-t-elle.
L'Allemagne a notamment profité de l'arrivée récente des Chinois sur le
marché du luxe. Depuis quelques années, nombre de géants du luxe
s'installent en Chine ou, à l'inverse, sont rachetés par des investisseurs
chinois, à l'instar des grandes
marques de prêt-à-porter ou des hôtels
de luxe. En Allemagne, ce sont principalement "les biens
d'équipement et les biens de consommation -
particulièrement les voitures allemandes" qui se taillent la part du
lion à l'exportation, détaille Mme Lemoine.
"Ces types de biens bénéficient en outre de la bonne réputation
liée aux produits allemands. Par ailleurs, on voit dans ces importations de
biens de luxe l'expression du pouvoir d'achat croissant d'une toute petite fraction
de la population chinoise mais qui, compte tenu de la taille du pays, devient
un marché extrêmement important", ajoute-t-elle.
Portée par la force des rapports commerciaux établis entre Pékin et
Berlin, l'Union européenne n'a donc pas d'autre choix que de considérer ce
nouveau partenaire économique. Pour Françoise Lemoine, "la Chine est
ainsi naturellement partie prenante dans les problèmes européens : tout d'abord
parce que c'est un pays qui a d'énormes réserves de change, dont une partie est
en euros, et qui a donc intérêt à ce que l'euro demeure une monnaie forte, et
ensuite, parce que la Chine détient environ 600 milliards d'euros de dette
européenne", relève-t-elle. Avant de nuancer : "Pour autant, je ne pense pas
qu'il y ait un axe sino-allemand sur la question de la résolution de la crise
de la dette européenne."
Bien que croissante, cette relation bute aujourd'hui sur ce qui la
caractérise : sa bilatéralité. Car, comme le rappellent les chercheurs Hans
Kundnani et Jonas Parello-Plesner dans une
tribune du Monde, "l'Allemagne ne doit pas abandonner une approche européenne de la Chine". Une
position également soutenue par Mme Lemoine : "La meilleure
approche serait de développer une approche européenne globale à l'égard de la
Chine, qu'elle soit commerciale ou diplomatique, afin que l'Europe prenne appui
sur les rapports établis entre Berlin et Pékin. Si les pays européens veulent
développer une approche purement nationale à l'égard de la Chine, tous seront
perdants, à l'exception peut-être de l'Allemagne, parce qu'ils ne pèsent pas
grand-chose face à la Chine", prévient-elle.
Reste alors à l'Europe à "trouver de manière urgente les
moyens d'aider l'Allemagne à être un membre européen loyal dans
ses relations avec la Chine", évaluent MM. Kundnani et Parello-Plesner.
Une issue là encore partagée par Mme Lemoine : "La seule chance pour
l'Europe de s'établir comme partenaire commercial de la Chine sur un pied
d'égalité, c'est d'avoir une approche communautaire. A ce moment-là, les
pays européens ont la chance d'avoir leur mot à dire en matière commerciale, en matière
d'investissement et en matière d'accès au marché".
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire