lundi 4 juin 2012

Redonner des droits au travail

Par Thomas Petit 2012

Thomas Petit
Gandrange, Continental, Fralib, AirFrance… les plans sociaux annoncés s’accumulent avec toute la détresse pour les femmes et hommes concernés.
Encore une fois, la mauvaise gestion des responsables sera payée par les soutiers, les petites mains, celles et ceux qui ont parfois un contrat dit à durée indéterminée mais qui en fait voient cette durée se terminer.

Encore une fois, les promesses de sécurité permise par une répartition des rôles entre preneurs de risques et salariés sont piétinées, la variable d’ajustement étant au final supportée par les travailleurs plutôt que par les dirigeants et apporteurs de capitaux.


Mais plus encore, nous revoyons des entreprises réduites à la seule propriété des apporteurs de capitaux financiers qui se donnent le droit de partir avec le matériel mais aussi la marque et même parfois un veto sur une reprise de l’activité par les salariés qui croient encore dans leur capacité à valoriser leur métier, leur produit, sur les marchés.

Or c’est là que nous avons une révolution à opérer. Une révolution au sens pratique du terme puisqu’il s’agit de changer de point de vue, de culture.
En effet, l’histoire de notre société économique est presque en totalité résumée par la relation de personnes qui possèdent et « permettent » aux autres de travailler. Ceci leur donne un droit dit de subordination qui a pu aller jusqu’à un droit sur la vie.
Mais pourquoi donne-t-on ce droit à ces personnes qui n’ont d’autre mérite bien souvent que d’avoir hérité d’un bien (notamment la monnaie) qui est nécessaire pour produire ?
Qu’ils profitent en partie du fait qu’ils prêtent ce bien aux autres est une chose, qu’ils acquièrent sur les travailleurs un pouvoir excessif en est une autre.

Il faut ici comprendre que l’entreprise n’est pas composée que d’un capital humain apporté par les travailleurs et un capital physique apporté des propriétaires, mais aussi d’un capital immatériel, accumulation de l’histoire de cette activité, actif immobilier né de ce rapprochement entre 2 flux, entre 2 apports.

Ce capital immatériel est l’essence même de ce qui fait la pérennité d’une entreprise.
Le problème, c’est qu’actuellement ce capital immatériel est entièrement la propriété de ceux qui apportent le capital physique. Ainsi, quand MITTAL part de GANDRANGE, non seulement il veut prendre le matériel mais en plus il ne veut pas autoriser les salariés à reprendre le nom de l’entreprise et l’activité telle qu’elle se faisait.

Bien sûr, il est difficile de continuer l’activité sans ce matériel et nous y reviendrons.
Mais déjà il est clair qu’il y a un problème : pourquoi la gestion de l’entreprise, qui est d’abord ce capital immatériel, est entièrement présidée par ceux qui n’apportent que le capital physique ? Pourquoi ceux qui apportent le capital humain n’acquièrent-ils pas dans le temps les mêmes droits sur le capital immatériel ?

Il n’y a aucune raison philosophique logique. Il n’y a pas de sens autre que la capacité de certains à imposer ce point de vue aux autres.

Dès lors, il est légitime de changer d’optique et d’imposer que les travailleurs puissent avoir un droit de contrôle des décisions de l’entreprise au même titre que les actionnaires.

Dès lors, il est légitime que les outils de production qui ont été créés par l’histoire de l’entreprise (sa renommée, son étendue, ses réseaux, …) soient une propriété commune qui ne peut partir sans un dédommagement de l’un à l’autre.

Dès lors, il doit devenir impensable que des actionnaires délocalisent une activité sans dédommager en plus du salaire, la communauté à laquelle les travailleurs appartiennent et qui a permis la continuité et donc l’accumulation de compétences et de techniques qui ont fait le succès de l’entreprise.

Dès lors, il doit être possible de laisser partir les actionnaires avec leurs actions voire avec des machines, mais de les forcer à laisser le nom de l’entreprise, ses brevets, etc…

A partir de cette analyse, l’action d’un ministère du redressement productif devrait être de donner les moyens aux travailleurs de choisir entre l’obtention d’un dédommagement plus important pour laisser partir ce capital immatériel ou de financer la reprise du capital physique en remplaçant les apporteurs de capitaux le temps de retrouver un financement privé.

Ce capital immatériel disparaissant en partie avec la suppression d’un des 2 flux, l’objectif devrait être de garder la cohérence. Comme nous le disions plus tôt, il est effectivement difficile d’exercer sans le matériel utilisé auparavant. Vu que l’actionnaire n’a que des valeurs à bouger, il est plus mobile que les travailleurs dont la vie ne peut être aussi aisément transportable. La logique est donc qu’il y ait une préférence au choix des travailleurs qui doivent décider notamment sur des critères de faisabilité, de durabilité.

Enfin, ce capital immatériel étant issu des 2 autres composantes de l’entreprise, sa gestion doit être partagée équitablement. L’un ne peut créer de richesses sans l’autre. Cette égalité de nécessité doit être enfin reconnue dans les faits !
Le salaire est perçu comme une libération de l’employeur de devoirs futurs et le paiement d’un transfert de propriété du résultat du travail.

Mais autant l’employeur actionnaire reçoit à la fois des dividendes et des droits sur la propriété et donc sur la gestion, autant le salarié ne reçoit qu’une rémunération basée sur les résultats présents. En toute justice, le salarié doit aussi recevoir des droits sur la propriété. L’entreprise est constituée par les capitaux physiques mais aussi par la qualité du travail passé qui crée le capital immatériel.

L’entreprise appartient à la totalité des citoyens qui la composent, pas seulement à une catégorie.

Dans tous ces cas, la difficulté est aussi d’identifier le bénéficiaire parmi les travailleurs. Un actionnaire possède une part du capital physique. Il est donc facile de déterminer ce qu’il possède et la part de ce qui lui revient lors d’une distribution de biens en faveur du capital physique. Pour un travailleur, son droit vient plus encore de l’histoire de l’entreprise. Il est peut être en CDD arrivé très récemment ou au contraire a participé à la création et au développement de long terme de l’entreprise.
Afin de résoudre cette difficulté, il semble que le mieux serait d’attribuer à une entité représentante des travailleurs les droits et devoirs liés à ce capital immatériel. Ce serait donc cette entité qui aurait un droit de contrôle sur l’activité de l’entreprise et gérerait les bénéfices du capital immatériel de manière collective.  Vu que l’on ne peut donner à chaque travailleur passant dans l’entreprise une part de droits sur les brevets et autres capitaux immatériels, ce droit doit être donné à une entité représentante des salariés dans le temps. C’est une mutualisation de ces droits qui permettra leur reconnaissance.

Cette instance pourrait être les comités d’entreprise dans les grandes structures : autant utiliser ce qui existe déjà.

Ce sont les entreprises qui créent l’emploi mais c’est le travail qui crée la richesse.

Le lien de subordination doit être de l’entreprise au salarié et pas du propriétaire des capitaux financiers au travailleur. En d’autres termes, le donneur d’ordre ne saurait être seulement l’apporteur du capital physique mais bien l’entreprise représentée à la fois par le conseil d’administration des apporteurs de capitaux et le comité d’entreprise représentant les travailleurs.

C’est un changement fondamental qui est proposé ici dans les relations de travail au sein des entreprises.

Ce changement permettrait de regarder une délocalisation non pas comme un vol mais comme une rupture de contrat avec toutes les conditions de dédommagement à déterminer d'un côté ou de l'autre.

Ces principes sont justifiés dans les faits et établissent une nouvelle relation permettant la création des biens et services nécessaires à la vie de chacun… désormais dans le respect de tous !

Thomas Petit

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