Négociations commerciales : une fuite plonge l'administration Obama
dans l'embarras. Des pouvoirs démesurés seraient octroyés aux multinationales.
WASHINGTON – Un document décrivant de manière détaillée les
négociations de libre-échange entre les États-Unis et huit pays de
l'Asie-Pacifique a fait l'objet d'une fuite mercredi 13 juin au matin. Les
pouvoirs démesurés qui seraient octroyés aux firmes multinationales en vertu du
Trans-Pacific Partnership (TPP) contredisent d'importantes promesses
électorales de Barack Obama.
Le document a été publié sur le site web de Citizens Trade Campaign, une
organisation qui analyse la politique commerciale des États-Unis. Cette fuite
survient alors que l'opacité des négociations fait déjà l'objet de nombreuses
critiques. En effet, des membres du Congrès se sont plaints d'avoir été tenus à
l'écart d'informations que les responsables d'entreprises peuvent consulter
librement.
Le sénateur démocrate Ron Wyden (Oregon) a déposé un projet de loi
visant à forcer la divulgation de tous les dossiers de négociations. Le
républicain Darrell Issa (Californie), président du Comité de surveillance de
la Chambre des représentants, a publié sur son site web d'autres informations
auxquelles il a eu accès. Quelques sénateurs songent maintenant à écrire à Ron
Kirk, négociateur en chef de l'administration Obama, pour l'encourager à faire
preuve d'une plus grande transparence dans ses fonctions.
Le document divulgué mercredi soulève des questions très importantes au
sujet du TPP. « Son contenu est révoltant, et explique sans doute pourquoi
les négociateurs américains ont gardé le silence depuis deux ans », a
affirmé Lori Wallach, directrice duPublic Citizen's Global Trade Watch.
Les firmes étrangères aux USA pourront contester les lois américaines
Le TPP vise à assouplir une grande quantité de lois nationales en
matière d'investissement, ce qui inquiète les écologistes, les syndicats et les
partisans d'une réforme du système financier.
Si ce traité de libre-échange est adopté, les entreprises américaines
continueront à respecter les lois américaines en matière d'environnement, de
travail et de finances. Par contre, les firmes étrangères en activité aux
États-Unis pourront contester ces mêmes lois auprès des tribunaux
internationaux. Ces tribunaux auront la capacité de les invalider et d'imposer
des sanctions économiques aux États-Unis en cas de non-respect de leurs
décisions.
Le TPP va à l'encontre d'importantes promesses électorales de Barack
Obama et du Parti démocrate. En effet, un document de campagne de 2008
affirmait ceci : « Nous ne négocierons aucun traité commercial qui
aurait pour effet de restreindre notre capacité à protéger l'environnement, la
santé publique et la sûreté des aliments. Nous ne négocierons aucun traité
commercial susceptible d'accorder des privilèges aux investisseurs étrangers au
détriment des investisseurs locaux, d'aboutir à la privatisation de nos
précieux services publics, ou de nuire aux pays en développement qui prennent
des mesures pour faciliter l'accès aux médicaments essentiels. »
Presque tous ces vœux pieux sont bafoués par les dispositions du TPP
Dans un communiqué envoyé au Huffington Post, le bureau du
Représentant américain au commerce a minimisé les inquiétudes du public. « Nous
nous engageons à maintenir un cadre législatif sérieux en matière
d'environnement, de santé et de sécurité publiques », a affirmé sa
porte-parole Nkenge Harmon. « Rien dans le TPP n'empêchera le gouvernement
d'adopter des lois et des règlements légitimes et non discriminatoires dans le
but de préserver l'intérêt public. »
Le hic est que les termes « légitime » et « non
discriminatoire » peuvent être interprétés de manière très flexible par
les tribunaux internationaux. Par exemple, ceux-ci ont statué que la
certification du thon « sans risque pour les dauphins » et les
campagnes anti-tabac chez les adolescents constituaient des barrières illégales
au commerce, en vertu d'accords de libre-échange adoptés précédemment. Les
dispositions du TPP en matière d'investissement s'étendraient quant à elles à
tous les marchés publics. Le gouvernement ne pourrait plus avoir recours aux
clauses « Buy American » pour favoriser les entreprises
manufacturières locales.
En matière de promesses électorales, la seule que l'administration
Obama semble respecter est celle ayant trait aux médicaments essentiels. Or
l'examen d'un document portant sur la propriété intellectuelle démontre qu'il y
a eu tergiversation lors d'une phase antérieure des négociations.
« Bush était plus sincère qu'Obama à ce sujet », a affirmé
Judit Rius, directrice américaine de la Campagne pour l'accès aux médicaments
essentiels de Médecins sans frontières.
Les dispositions du TPP se sont attirées les foudres de groupes
disparates
Les États-Unis affirment vouloir coopérer avec les pays membres du TPP
pour protéger l'accès aux médicaments essentiels. Mais règle générale, les
accords multilatéraux reposent sur une multitude de règlements qui ont pour
effet de faire grimper le coût de ces médicaments.
Dans un autre forum international, l'administration Obama a mené ces
dernières années une offensive diplomatique visant à imposer un régime
universel de brevets, et conférer aux entreprises pharmaceutiques un monopole à
long terme sur les médicaments essentiels. L'Organisation mondiale de la Santé
et des dizaines d'ONG ont vertement critiqué cette initiative. Récemment, deux
organismes onusiens ont même exhorté les gouvernements à ne pas céder aux
pressions américaines, craignant de graves répercussions au plan de la santé
publique.
En sol américain, les dispositions du TPP se sont attiré les foudres de
groupes disparates, allant des conservateurs obsédés par la souveraineté
nationale aux militants progressistes s'inquiétant de la perte de pouvoir des
élus locaux. La raison est que l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA,
ratifié par le Congrès américain en 1993), ainsi qu'une série d'accords
similaires adoptés subséquemment, ont donné aux firmes multinationales des
pouvoirs auparavant réservés aux pays souverains. Désormais, ces firmes peuvent
intenter des poursuites contre les gouvernements.
Si le TPP pose un défi à la souveraineté des États-Unis, il favorisera
par contre les entreprises américaines. Celles-ci auront en effet la
possibilité de contester les lois adoptées par l'un ou l'autre des huit autres
pays signataires de l'accord, en s'adressant aux tribunaux internationaux
mandatés à cet effet.
L'ONG Public Citizen remet en question l'impartialité et l'indépendance
de ces tribunaux. Si l'on en croit le texte divulgué mercredi dernier, leur
personnel consistera en "avocats du secteur privé, qui agiront tantôt à
titre de juges, et tantôt à titre de conseillers auprès des firmes ayant
intenté un recours".
Au début de juin, le Centre international pour le règlement des
différends relatifs aux investissements, affilié à la Banque mondiale, a
accepté d'entendre une cause opposant une entreprise minière à l'État
salvadorien. Sous la pression de l'Église catholique et de nombreux groupes
écologistes, ce pays a interdit l'utilisation du cyanure pour extraire l'or.
Toutefois, la Banque mondiale pourrait donner raison à la multinationale, au
détriment de la loi salvadorienne qui deviendrait alors caduque.
« Le texte divulgué cette semaine a confirmé nos pires cauchemars »
Nous avons interrogé Margrete Strand Rangnes, du Sierra Club, au sujet
des risques que le TPP fait courir à l'environnement. Selon elle, « Le
texte divulgué cette semaine a confirmé nos pires cauchemars. Le chapitre
portant sur les investissements va sérieusement nuire à notre capacité de
renforcer les lois et les politiques environnementales. »
Les initiatives locales en matière de santé publique et de zonage
pourraient aussi faire l'objet de contestations judiciaires, tout comme les
règlements en matière bancaire. Le Fonds monétaire international recommande de
mieux contrôler les flux de capitaux pour prévenir les crises financières, or
le TPP prévoit interdire les contrôles de capitaux. D'après Public Citizen,
quelques pays souhaitaient bénéficier d'exemptions leur permettant de freiner
les transactions spéculatives, mais les États-Unis ont rejeté leurs
propositions.
Les négociations du Trans-Pacific Partnership se poursuivent depuis
mars 2010. La Chambre de commerce des États-Unis, principal lobby des grandes
corporations, appuie sans réserve l'adoption de l'accord. Mitt Romney
– principal opposant d'Obama à l'élection présidentielle de 2012 – va
dans le même sens et encourage le Représentant au commerce à finaliser l'accord
le plus vite possible.
Article publié par le Huffington Post américain et traduit
par ceux du Huffington Post Québec.
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