Par Stéphane Foucart et Hervé Kempf - LE MONDE | 28.05.2012
à 14h40
Dennis Meadows |
En mars 1972,
répondant à une commande d'un think tank basé à Zurich (Suisse) - le Club de Rome -,
des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) publiaient The Limits to
Growth, un rapport modélisant les conséquences possibles du maintien
de la croissance économique sur le long terme. De passage à Paris , mercredi 23
mai, à l'occasion de la publication en français de la dernière édition de ce
texte qui fait date (Les Limites à la croissance, Rue de
l'Echiquier, coll."Inital(e)s DD", 408 p., 25 euros), son
premier auteur, le physicien américain Dennis Meadows,
69 ans, a répondu aux questions du Monde.
Quel bilan tirez-vous, quarante ans après la publication du
rapport de 1972 ?
D'abord, le titre n'était pas bon. La vraie question n'est pas en
réalité les limites à la croissance, mais la dynamique de la croissance. Car
tout scientifique comprend qu'il y a des limites physiques à la croissance de
la population, de la consommation énergétique,
du PIB, etc. Les questions intéressantes sont plutôt de savoir ce qui cause cette croissance et quelles seront
les conséquences de sa rencontre avec les limites physiques du système.
Pourtant, l'idée
commune est, aujourd'hui encore, qu'il n'y a pas de limites. Et lorsque vous
démontrez qu'il y en a, on vous répond généralement que ce n'est pas grave
parce que l'on s'approchera de cette limite de manière ordonnée et tranquille
pour s'arrêter en douceur grâce aux lois du marché. Ce que nous démontrions en
1972, et qui reste valable quarante ans plus tard, est que cela n'est pas
possible : le franchissement des limites physiques du système conduit à un
effondrement.
Avec la crise
financière, on voit le même mécanisme de franchissement d'une limite, celle de
l'endettement : on voit que les choses ne se passent pas tranquillement.
Qu'entendez-vous par
effondrement ?
La réponse technique
est qu'un effondrement est un processus qui implique ce que l'on appelle une "boucle
de rétroaction positive", c'est-à-dire un phénomène qui renforce ce
qui le provoque. Par exemple, regardez ce qui se passe en Grèce : la population perd sa
confiance dans la monnaie. Donc elle retire ses fonds de ses banques. Donc les
banques sont fragilisées. Donc les gens retirent encore plus leur argent des
banques, etc. Ce genre de processus mène à l'effondrement.
On peut aussi faire une réponse non technique : l'effondrement
caractérise une société qui devient de moins en moins capable de satisfaire les besoins élémentaires : nourriture, santé,
éducation, sécurité.
Voit-on des signes
tangibles de cet effondrement ?
Certains pays sont
déjà dans cette situation, comme la Somalie par exemple. De même, le "printemps
arabe", qui a été présenté un peu partout comme une solution à des
problèmes, n'est en réalité que le symptôme de problèmes qui n'ont jamais été
résolus. Ces pays manquent d'eau, ils doivent importer leur nourriture, leur énergie, tout cela avec
une population qui augmente. D'autres pays, comme les Etats-Unis, sont moins
proches de l'effondrement, mais sont sur cette voie.
La croissance mondiale
va donc inéluctablement s'arrêter ?
La croissance va
s'arrêter en partie en raison de la dynamique interne du système et en partie
en raison de facteurs externes, comme l'énergie. L'énergie a une très grande
influence. La production pétrolière a passé son pic et va commencer à décroître. Or il n'y a pas de substitut
rapide au pétrole pour
les transports, pour
l'aviation... Les problèmes économiques des pays occidentaux sont en partie dus
au prix élevé de l'énergie.
Dans les vingt
prochaines années, entre aujourd'hui et 2030, vous verrez plus de changements
qu'il n'y en a eu depuis un siècle, dans les domaines de la politique, de l'environnement, de
l'économie, la technique. Les troubles de la zone euro ne représentent qu'une
petite part de ce que nous allons voir. Et ces changements ne se feront pas de manière
pacifique.
Pourtant, la Chine maintient une croissance
élevée...
J'ignore ce que sera
le futur de la Chine. Mais je sais que les gens se trompent, qui disent qu'avec
une croissance de 8 % à 10 % par an, la Chine sera le pays dominant dans
vingt ans. Il est impossible de faire durer ce genre de croissance. Dans les années 1980, le Japon tenait ce type de rythme et
tout le monde disait que, dans vingt ans, il dominerait le monde. Bien sûr,
cela n'est pas arrivé. Cela s'est arrêté. Et cela s'arrêtera pour la Chine.
Une raison pour
laquelle la croissance est très forte en Chine est la politique de l'enfant
unique. Elle a changé la structure de la population de manière à changer le ratio entre la main-d'œuvre et ceux qui en
dépendent, c'est-à-dire les jeunes et les vieux. Pour une période qui va durer jusque vers 2030, il y aura un surcroît de
main-d'œuvre. Et puis cela s'arrêtera.
De plus, la Chine a
considérablement détérioré son environnement, en particulier ses ressources en
eau, et les impacts négatifs du changement climatique sur ce pays seront
énormes. Certains modèles climatiques suggèrent ainsi qu'à l'horizon 2030 il
pourrait être à peu près impossible de cultiver quoi que ce soit dans les régions qui fournissent
actuellement 65 % des récoltes chinoises...
Que croyez-vous que
les Chinois feraient alors ? Qu'ils resteraient chez eux à souffrir de la famine ? Ou qu'ils iraient vers le nord,
vers la Russie ? Nous ne
savons pas comment réagira la Chine à ce genre de situation...
Quel conseil
donneriez-vous à François Hollande, Angela Merkel ou Mario Monti ?
Aucun, car ils se
fichent de mon opinion. Mais supposons que je sois un magicien : la première
chose que je ferais serait d'allonger l'horizon de temps des hommes politiques. Pour
qu'ils ne se demandent pas quoi faire d'ici à la prochaine élection, mais qu'ils se
demandent : "Si je fais cela, quelle en sera la conséquence dans
trente ou quarante ans ?" Si vous allongez l'horizon temporel, il
est plus probable que les gens commencent à se comporter de la bonne manière.
Que pensez-vous d'une
"politique de croissance" dans la zone euro ?
Si votre seule
politique est fondée sur la croissance, vous ne voulez pas entendre parler de la fin de la croissance. Parce que cela
signifie que vous devez inventer quelque chose de nouveau. Les Japonais ont un
proverbe intéressant : "Si votre seul outil est un marteau, tout
ressemble à un clou." Pour les économistes, le seul outil est la
croissance, tout ressemble donc à un besoin de croissance.
De même, les
politiciens sont élus pour peu de temps. Leur but est de paraître bons et
efficaces pendant leur mandat; ils ne se préoccupent pas de ce qui arrivera
ensuite. C'est très exactement pourquoi on a tant de dettes : on emprunte sur
l'avenir, pour avoir des bénéfices immédiats, et quand il s'agit de rembourser la dette, celui qui l'a contractée n'est plus
aux affaires.
Stéphane Foucart et
Hervé Kempf
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire