Par Hans Kundnani, directeur de la rédaction, et Jonas Parello-Plesner, membre éminent du Conseil européen des relations étrangères - Le Monde.fr | 16.05.2012
Lire aussi : L'axe économique Berlin-Pékin à l'épreuve de la crise européenne
Depuis un an, la question de savoir si une "Europe allemande" a émergé
de la crise européenne a été l'objet de nombreux débats. Exacte ou non, l'idée
que l'Allemagne est à
présent le pays le plus puissant en Europe a une incidence sur
les relations avec les partenaires non-européens et particulièrement avec
la Chine.
Lire aussi : L'axe économique Berlin-Pékin à l'épreuve de la crise européenne
La Chancelière allemande Angela Merkel
et le premier ministre chinois Wen
|
Dans ce paysage de crise, les analystes et officiels chinois
voient une Allemagne de
plus en plus puissante, une France
affaiblie et un Royaume-Uni marginalisé.
Et c'est ainsi qu'ils observent l'Allemagne jouer un rôle de plus en plus décisif dans l'Union Européenne et
n'ont, par conséquent, d'autre choix que d'aborder l'Europe en se servant d'elle. Lors d'une
récente visite à Pékin, un officiel chinois nous fit cette remarque : "Si
vous voulez obtenir quelque chose de Bruxelles, adressez-vous à Berlin".
“ En Chine, la demande en véhicules automobiles des particuliers ainsi que les besoins en machines d'usines chinoises ont été d'une importance capitale dans la capacité de l'Allemagne à sortir si rapidement de la crise économique. ”
Les relations que l'Europe va développer avec la Chine -
l'un de ses plus importants partenaires stratégiques - seront, dans une large
mesure, déterminées par l'émergence de cette relation particulière entre la
Chine et l'Allemagne. Relation qui vient de passer à l'étape supérieure en juin dernier alors que
le premier Ministre Wen Jiabao s'est rendu à Berlin avec treize ministres et y
a tenu un conseil inter-ministériel - une grande première pour la Chine qui a ainsi établi un
mécanisme de négociation de haut niveau avec un Etat membre de l'UE.
Les bases de cette relation politique s'appuient sur
l'augmentation des relations commerciales entre l'Allemagne et la Chine - et en
particulier les exportations de l'Allemagne vers la Chine - durant cette
dernière décennie, et elles ont dépassé toutes leurs attentes. Pratiquement la
moitié de toutes les exportations de l'UE vers la Chine proviennent d'Allemagne
et près d'un quart de toutes les importations chinoises sont faites avec
l'Allemagne. En Chine, la demande en véhicules automobiles des particuliers
ainsi que les besoins en machines d'usines chinoises ont été d'une importance
capitale dans la capacité de l'Allemagne à sortir si rapidement de la crise économique.
Il y a actuellement une sorte de symbiose entre les économies
allemande et chinoise ; alors que la Chine a des besoins en
nouvelles technologies,
l'Allemagne doit trouver de nouveaux marchés. Les Chinois ont le
sentiment qu'ils peuvent faire affaire avec l'Allemagne : les autorités
chinoises aiment à en parler comme d'une relation "réciproquement
profitable". Des discussions sont en cours au sujet d'une future
coopération plus étroite autour des technologies écologiques comme les voitures
électriques.
“ une manière de diviser l'Ouest (pour mieux régner) ”
Depuis 2008, la Chine et l'Allemagne - tous deux de grands
exportateurs avec des niveaux importants d'épargne et d'excédent commercial -
se sont retrouvés du même côté à la table des débats sur l'économie mondiale.
En fait, des analystes chinois observent des parallèles entre le leadership
allemand au niveau régional et le leadership chinois à un niveau mondial ;
la crise a accru les attentes internationales envers ces deux pays.
D'un côté, l'ampleur de l'investissement allemand
pourrait offrir à l'Europe un moyen de pression plus important
auprès de la Chine ; d'un autre côté, il y a un danger pour que l'Allemagne se
serve de cette étroite relation bilatérale afin de défendre ses propres
intérêts économiques plutôt que les intérêts stratégiques européens.
Les Chinois ont favorablement accueilli l'abstention de
l'Allemagne sur l'utilisation de forces armées en Libye lors du vote du Conseil de
sécurité des Nations Unies en mars dernier. Ils y voient le signe d'un point
d'accord entre la réticence de l'Allemagne à utiliser la force militaire et leur propre principe de
non-intervention. Ils souhaitent une Europe prête à être un important
contrepoids aux Etats-Unis et
peuvent entrevoir l'Allemagne comme un moyen de l'obtenir - en d'autres termes, une manière de diviser l'Ouest (pour mieux régner).
Pour l'instant, les besoins technologiques de la Chine sont
tels qu'ils révèlent que l'Allemagne ne possède encore que de faibles leviers.
Néanmoins, les autorités allemandes savent qu'à long terme, elles ne font pas
suffisamment le poids pour être à même d'influencer une grande puissance émergente qui compte
1,35 milliard d'habitants. Comme un officiel allemand le
disait : "finalement, nous sommes 80 millions mais sommes de
moins en moins nombreux".
“ la relation bilatérale qu'entretient l'Allemagne avec la Chine remplace la "relation stratégique" embryonnaire de l'Europe avec la Chine”
Ce n'est pas seulement à cause de ses intérêts économiques en
Chine que l'Allemagne a fait plus d'efforts que n'importe quel autre Etat
membre pour développer un rapprochement vers la Chine. Cette approche est
également motivée par des sujets comme les échanges commerciaux, le changement
climatique, les droits de l'homme, la gouvernance mondiale, le développement et
la politique étrangère, mais tout ceci n'a abouti à rien. On peut
aisément comprendre que des officiels allemands soient
maintenant naturellement frustrés et sceptiques quant à la possibilité de travailler avec leurs homologues européens. C'est une
situation dangereuse pour l'Allemagne et pour l'Europe dans son ensemble. La
visite de la Chancelière Angela Merkel en Chine cette année - entre le sommet
européen et le sommet sino-européen, sommet durant lequel elle parla au nom de
l'Europe - a conduit certains à s'interroger sur le fait que Berlin ait pu remplacer Bruxelles par Pekin.
L'Allemagne ne doit pas abandonner une approche européenne de la Chine. Mais
le reste de l'Europe doit trouver de manière urgente les moyens d'aider l'Allemagne à être un membre européen loyal dans
ses relations avec la Chine - ou alors elle risque de ne plus être dans le
circuit car la relation bilatérale qu'entretient l'Allemagne avec la Chine
remplace la "relation stratégique" embryonnaire de l'Europe avec
la Chine.
Leur rapport "Chine - Allemagne : en quoi
l'émergence de cette relation est-elle si importante pour
l'Europe ?", a été publié le 14 mai.
Traduit de l'anglais par Delphine
Colin
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire