“ Pour venir a bout du Problème Économique qui absorbe
maintenant nos énergies morales et matérielles, le monde occidental possède
déjà en effet les ressources et les techniques nécessaires ; il lui reste à
créer l’organisation capable de les mettre en œuvre de manière adéquate.”
Keynes
“ Voyons le but de la société. Voyons le bonheur commun, et venons après mille ans changer ces lois grossières.”
Gracchus Babœuf
Le principe de raison doit gouverner le monde. La crise nous
rappelle à l’impératif commun d’une approche rationnelle de l’économie. Devant
la gravité des événements, chacun s’interroge naturellement sur la validité des
solutions proposées et cherche à faire preuve de responsabilité. Pourtant les
questions les plus élémentaires ne sont jamais posées. Tout se passe comme si
les objectifs proposés n’avaient pour finalité que les moyens employés. Comme
si l’on devait passer sous silence la formulation de la moindre ambition collective.
Inlassablement, les économistes répètent qu’il faut relancer
la croissance sans interroger son contenu, ni même la nécessité de cette
croissance. Il faut soutenir la consommation sans jamais se préoccuper de sa
nature, ni même de ses motivations. Il faut créer des emplois mais à quelle
fin, pour remplir quelles tâches, développer quelles activités ? Il faut
rassurer les marchés mais à quel titre et en quoi cela nous est-il bénéfique ?
Bref, des mesures mais pour quoi faire ?
“Peut-être produisons-nous déjà trop
et cette richesse est-elle seulement mal répartie ?”
Bien sûr, les justifications ne manquent pas. La croissance
permet de produire la richesse nécessaire à l’amélioration des conditions de
vie. À l’heure où trop de gens vivent dans le besoin, l’argument paraît louable
mais est-ce vraiment par manque de richesses produites que beaucoup s’en
trouvent privés ? Peut-être produisons-nous déjà trop et cette richesse
est-elle seulement mal répartie ?
La crise écologique a pour mérite essentiel de nous
interroger sur notre modèle de développement. Profitons-en. L’épuisement de
notre écosystème nous renseigne sur l’incapacité de nos sociétés à soutenir une
telle croissance. Doit-on pour autant renoncer au bien-être des générations
futures ?
Questions pour la croissance
Les partisans de la croissance ont donc pour nouvelle
habitude de revendiquer une croissance verte respectueuse de l’environnement :
un développement durable se substituant à la destruction des ressources
naturelles. La croissance soutenable est le nouveau credo productiviste. Si
tant est que cela soit possible — ce que tout écologiste responsable conteste
—, rien ne nous dit que l’opulence matérielle fera le bonheur de l’humanité.
Pire encore, l’accumulation individuelle n’apportera rien si celle-ci ne
profite qu’à une infime minorité.
“les contradictions d'un modèle de développement où le comportement humain doit se conformer aux exigences socioéconomiques et non l’inverse”
“les contradictions d'un modèle de développement où le comportement humain doit se conformer aux exigences socioéconomiques et non l’inverse”
Par conséquent, pour que tout le monde accède aux richesses
produites par la croissance, il faut augmenter le pouvoir d’achat des
populations. De ce point de vue, la consommation de masse est moralement
inattaquable. L’économie marchande trouve ici sa meilleure justification. La
relance par la consommation pour lutter contre l’injustice sociale, mais pour
consommer quoi ? Car ce ne sont pas les biens de première nécessité qui sont en
jeu dans la problématique de la croissance. Nous sommes sortis de la rareté
depuis longtemps. La demande est saturée depuis les années 1960. Le taux
d’équipement des ménages à atteint son apogée au point que la production
industrielle s’évertue à augmenter continuellement le cycle d’achat grâce à une
propagande publicitaire à l’échelle internationale dont les dépenses s’élèvent
à plusieurs centaines de milliards de dollars (1000 milliards selon Patrick
Viveret de la Cour des comptes). La mode, l’obsolescence programmée des
matériaux comme des appareils, le marketing promotionnel créateur de nouveaux
besoins, le gaspillage organisé des énergies… tout concourt à l’augmentation du
volume de la consommation. Une logique économique qui permet de dire au prix
Nobel d’économie Rober Fogel : « Une balade dans les jardins du Luxembourg
plutôt que l'achat d'un écran plat chez Géant n'aide pas à la croissance
économique ». Sur le ton de la provocation, Fogel ne fait que pointer du doigt
les contradictions d’un modèle de développement où le comportement humain doit
se conformer aux exigences socioéconomiques et non l’inverse. Engagée dans une
fuite en avant, la croissance impose une consommation toujours plus importante
sans offrir la possibilité de demander si cette consommation répond à des besoins réels et si
elle ne court pas tout simplement à sa perte.
Questions pour le chômage de masse
C’est en essayant de résoudre le problème du chômage de
masse que l’aveuglement compulsif de la croissance touche à son paroxysme. À
tout pouvoir d’achat est attaché un revenu. Le plein-emploi est donc la condition
sine qua non pour bénéficier d’un salaire sans quoi une partie de la population
reste exclue de la consommation des richesses produites. Vaincre le chômage
nécessite alors une création d’emplois suffisamment importante, promesse
d’ailleurs portée par la croissance elle-même. Car la croissance a, selon ses
thuriféraires, la double vertu de fournir du pouvoir d’achat et du travail.
“Le travail est une espèce en voie d’extinction
même si il y aura toujours des actifs.”
“Le travail est une espèce en voie d’extinction
même si il y aura toujours des actifs.”
Seulement, la réalité invalide complètement cette théorie.
Nous produisons toujours plus avec de moins en moins de travail humain. La
révolution technologique est continuellement à l’œuvre. Le volume d’heures
travaillées ne fait que décroître tandis que la croissance poursuit
inexorablement sa route, malgré son ralentissement dans les pays industrialisés. Alors, comment créer de
nouveaux emplois et lesquels ? À quoi l’humanité doit-elle s’employer pour
travailler plus afin de consommer plus et continuer à faire tourner la machine
? La question mérite d’être posée même si elle ne fait pas partie des
préoccupations de nos économistes. Certains répondent sans grande conviction :
les emplois verts. Ils sont évalués à 218 000 postes sur le seul territoire
national selon les dernières estimations de l’Agence de l’environnement et de
la maîtrise de l’énergie. Largement insuffisant pour répondre aux attentes des
6 millions de chômeurs français. Quant au Conseil d’Orientation pour l’Emploi,
il est sans ambiguïté sur la question : « le développement durable ne saurait
tenir lieu de stratégie unique pour atteindre le plein-emploi ». Par ailleurs,
tous les gisements d’emplois ont été identifiés ; le compte n’y est pas. Mais surtout nous savons que 90% des destructions d’emplois sont dues au gain de
productivité. L’hémorragie ne fait que commencer. Le travail est une espèce en
voie d’extinction même si il y aura toujours des actifs.
Alors jusqu’où faudra-t-il consommer, manger toujours plus,
s’habiller toujours plus, s’équiper toujours plus, créer toujours plus de
nouveaux besoins marchands pour soutenir une croissance exponentielle dans le
but de procurer du travail à tous les membres de la société ? Nous touchons ici
l’impasse d’un raisonnement qui ne semble pas choquer outre mesure nos
contemporains. Le plus troublant reste encore de constater qu’à aucun moment,
il nous est proposé de réfléchir à nos désirs, à nos besoins sociaux, à nos
aspirations collectives.
Questions pour les marchés
Par contre, nos décisions politiques s’alignent sans
conteste sur les marchés financiers. La note de la France ne doit pas être
dégradée. Il faut pouvoir continuer à emprunter à des taux d’intérêt «
confortables » permettant de financer la croissance de la production. Pourtant,
les marchés ont fait la démonstration flagrante de leur incapacité à réguler
l’économie mondiale. Il n’en reste pas moins que l’accumulation monumentale des
capitaux doit être réinvestie et pour satisfaire aux exigences de rentabilité
prohibitives, la spéculation bat son plein. En quoi tout cela peut-il
représenter une sortie de crise responsable ?
La croissance insoutenable exigée par les marchés représente
le principal danger pour l’économie mondiale. Au point que les investissements
nécessaires à l’économie réelle vont se réfugier dans des produits financiers
purement spéculatifs beaucoup plus rentables (50% des profits totaux dans le
monde). L’instrument de la croissance que constituent les marchés ruine ainsi
le fondement même de sa propre existence au mépris des aspirations humaines à
un projet de vie commun.
Question pour un projet de société
Si nous prenons le temps de réfléchir à la fin plutôt que de
focaliser sur les moyens, le volume de richesses produit nous apparaîtra
suffisant. Il s’agit plutôt de répartir autrement. Plutôt orienter la
production actuelle vers des domaines d’activité en adéquation avec les besoins
sociaux et le respect de l’environnement. La véritable quête du progrès n’est
certainement pas dans la consommation de masse mais dans le temps libre conquis sur le
travail pour profiter de ses enfants, de ses amis, de sa vie personnelle, de sa vie sociale et,
disons le : s’aimer. La diminution du temps de travail est la condition
fondamentale de l’épanouissement de la société.
“la croissance, le consumérisme, le travail, les marchés financiers ne sont pas notre horizon”
“la croissance, le consumérisme, le travail, les marchés financiers ne sont pas notre horizon”
La principale richesse que nous devons produire, c’est notre
capacité à se cultiver, à échanger (politique, sport, engagement associatif…),
à se consacrer à des disciplines hautement spirituelles : la philosophie,
l’art, la poésie, la recherche… Partager les bénéfices de la science afin que
chacun soit soigné, éduqué, transporté, soulagé des maux et des tâches ingrates
de l’existence. Délaisser le centre commercial pour flâner dans les musées et
les jardins du Luxembourg, n'en déplaise à Robert Fogel. Enfin prendre le temps de vivre et non s’épuiser
dans le fonctionnement stérile de l’économie marchande et la gabegie de sa
consommation.
Quand pourrons-nous affirmer simplement que la croissance,
le consumérisme, le travail, les marchés financiers ne sont pas notre horizon ?
Ils sont tout ce qui limite notre existence car ils ne sont porteurs d’aucun
projet de société. Parce qu’ils ne sont qu’une réponse temporaire au règne de
la nécessité, ils sont appelés à disparaître.
Ce que nous souhaitons, ce n’est pas la consommation de
richesses matérielles mais la jouissance des relations interpersonnelles, ce
n’est pas passer sa vie à la gagner mais partager le travail pour que la vie ne
soit pas esclave du travail. Les marchés n’ont pas à êtres rassurés car ils
confisquent la capacité de délibération démocratique des peuples à contrôler
leur modèle de développement. Voilà ce que nous pourrions répondre si la
question nous était posée.
Excellent article: c'est la question fondamentale qui devrait s'inscrire constitutionnellement ,avec ses corollaires.Je me dis aussi que la Constitution de 1958, toujours valide,va dans le sens humaniste de la protection du citoyen; a contrario, de très nombreux articles du traité de Lisbonne , construit dans le seul but de favoriser les marchés, s'avèrent contraires à cette constitution, enlèvent toute démocratie aux citoyens, ruinent les états et les peuples.Et le Conseil Constitutionnel, alors ????
RépondreSupprimerMalheureusement aucun candidat aux primaires ps propose la RTT comme réponse au chômage de masse.
RépondreSupprimerMême Filoche de l'aile gauche du ps et Mélenchon sont à la défensive sur ce thème.Il n'y a que les écologistes qui parlent de la semaine de 4 jours.
Jusqu'à quand la gauche sera à la défensive sur la réduction du temps de travail?,elle s'incline face à l'offensive médiatique orchestrée par le medef depuis 10 ans.