vendredi 30 septembre 2011

Les questions jamais posées


 Pour venir a bout du Problème Économique qui absorbe maintenant nos énergies morales et matérielles, le monde occidental possède déjà en effet les ressources et les techniques nécessaires ; il lui reste à créer l’organisation capable de les mettre en œuvre de manière adéquate.
Keynes

 Voyons le but de la société. Voyons le bonheur commun, et venons après mille ans changer ces lois grossières.
Gracchus Babœuf

Le principe de raison doit gouverner le monde. La crise nous rappelle à l’impératif commun d’une approche rationnelle de l’économie. Devant la gravité des événements, chacun s’interroge naturellement sur la validité des solutions proposées et cherche à faire preuve de responsabilité. Pourtant les questions les plus élémentaires ne sont jamais posées. Tout se passe comme si les objectifs proposés n’avaient pour finalité que les moyens employés. Comme si l’on devait passer sous silence la formulation de la moindre ambition collective.
Inlassablement, les économistes répètent qu’il faut relancer la croissance sans interroger son contenu, ni même la nécessité de cette croissance. Il faut soutenir la consommation sans jamais se préoccuper de sa nature, ni même de ses motivations. Il faut créer des emplois mais à quelle fin, pour remplir quelles tâches, développer quelles activités ? Il faut rassurer les marchés mais à quel titre et en quoi cela nous est-il bénéfique ? Bref, des mesures mais pour quoi faire ?

Peut-être produisons-nous déjà trop 
et cette richesse est-elle seulement mal répartie ?

Bien sûr, les justifications ne manquent pas. La croissance permet de produire la richesse nécessaire à l’amélioration des conditions de vie. À l’heure où trop de gens vivent dans le besoin, l’argument paraît louable mais est-ce vraiment par manque de richesses produites que beaucoup s’en trouvent privés ? Peut-être produisons-nous déjà trop et cette richesse est-elle seulement mal répartie ?
La crise écologique a pour mérite essentiel de nous interroger sur notre modèle de développement. Profitons-en. L’épuisement de notre écosystème nous renseigne sur l’incapacité de nos sociétés à soutenir une telle croissance. Doit-on pour autant renoncer au bien-être des générations futures ?

Questions pour la croissance

Les partisans de la croissance ont donc pour nouvelle habitude de revendiquer une croissance verte respectueuse de l’environnement : un développement durable se substituant à la destruction des ressources naturelles. La croissance soutenable est le nouveau credo productiviste. Si tant est que cela soit possible — ce que tout écologiste responsable conteste —, rien ne nous dit que l’opulence matérielle fera le bonheur de l’humanité. Pire encore, l’accumulation individuelle n’apportera rien si celle-ci ne profite qu’à une infime minorité.

“les contradictions d'un modèle de développement où le comportement humain doit se conformer aux exigences socioéconomiques et non l’inverse”

Par conséquent, pour que tout le monde accède aux richesses produites par la croissance, il faut augmenter le pouvoir d’achat des populations. De ce point de vue, la consommation de masse est moralement inattaquable. L’économie marchande trouve ici sa meilleure justification. La relance par la consommation pour lutter contre l’injustice sociale, mais pour consommer quoi ? Car ce ne sont pas les biens de première nécessité qui sont en jeu dans la problématique de la croissance. Nous sommes sortis de la rareté depuis longtemps. La demande est saturée depuis les années 1960. Le taux d’équipement des ménages à atteint son apogée au point que la production industrielle s’évertue à augmenter continuellement le cycle d’achat grâce à une propagande publicitaire à l’échelle internationale dont les dépenses s’élèvent à plusieurs centaines de milliards de dollars (1000 milliards selon Patrick Viveret de la Cour des comptes). La mode, l’obsolescence programmée des matériaux comme des appareils, le marketing promotionnel créateur de nouveaux besoins, le gaspillage organisé des énergies… tout concourt à l’augmentation du volume de la consommation. Une logique économique qui permet de dire au prix Nobel d’économie Rober Fogel : « Une balade dans les jardins du Luxembourg plutôt que l'achat d'un écran plat chez Géant n'aide pas à la croissance économique ». Sur le ton de la provocation, Fogel ne fait que pointer du doigt les contradictions d’un modèle de développement où le comportement humain doit se conformer aux exigences socioéconomiques et non l’inverse. Engagée dans une fuite en avant, la croissance impose une consommation toujours plus importante sans offrir la possibilité de demander si cette consommation répond à des besoins réels et si elle ne court pas tout simplement à sa perte.

Questions pour le chômage de masse

C’est en essayant de résoudre le problème du chômage de masse que l’aveuglement compulsif de la croissance touche à son paroxysme. À tout pouvoir d’achat est attaché un revenu. Le plein-emploi est donc la condition sine qua non pour bénéficier d’un salaire sans quoi une partie de la population reste exclue de la consommation des richesses produites. Vaincre le chômage nécessite alors une création d’emplois suffisamment importante, promesse d’ailleurs portée par la croissance elle-même. Car la croissance a, selon ses thuriféraires, la double vertu de fournir du pouvoir d’achat et du travail.

Le travail est une espèce en voie d’extinction
même si il y aura toujours des actifs.”

Seulement, la réalité invalide complètement cette théorie. Nous produisons toujours plus avec de moins en moins de travail humain. La révolution technologique est continuellement à l’œuvre. Le volume d’heures travaillées ne fait que décroître tandis que la croissance poursuit inexorablement sa route, malgré son ralentissement dans les pays industrialisés. Alors, comment créer de nouveaux emplois et lesquels ? À quoi l’humanité doit-elle s’employer pour travailler plus afin de consommer plus et continuer à faire tourner la machine ? La question mérite d’être posée même si elle ne fait pas partie des préoccupations de nos économistes. Certains répondent sans grande conviction : les emplois verts. Ils sont évalués à 218 000 postes sur le seul territoire national selon les dernières estimations de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. Largement insuffisant pour répondre aux attentes des 6 millions de chômeurs français. Quant au Conseil d’Orientation pour l’Emploi, il est sans ambiguïté sur la question : « le développement durable ne saurait tenir lieu de stratégie unique pour atteindre le plein-emploi ». Par ailleurs, tous les gisements d’emplois ont été identifiés ; le compte n’y est pas. Mais surtout nous savons que 90% des destructions d’emplois sont dues au gain de productivité. L’hémorragie ne fait que commencer. Le travail est une espèce en voie d’extinction même si il y aura toujours des actifs.
Alors jusqu’où faudra-t-il consommer, manger toujours plus, s’habiller toujours plus, s’équiper toujours plus, créer toujours plus de nouveaux besoins marchands pour soutenir une croissance exponentielle dans le but de procurer du travail à tous les membres de la société ? Nous touchons ici l’impasse d’un raisonnement qui ne semble pas choquer outre mesure nos contemporains. Le plus troublant reste encore de constater qu’à aucun moment, il nous est proposé de réfléchir à nos désirs, à nos besoins sociaux, à nos aspirations collectives.

Questions pour les marchés

Par contre, nos décisions politiques s’alignent sans conteste sur les marchés financiers. La note de la France ne doit pas être dégradée. Il faut pouvoir continuer à emprunter à des taux d’intérêt « confortables » permettant de financer la croissance de la production. Pourtant, les marchés ont fait la démonstration flagrante de leur incapacité à réguler l’économie mondiale. Il n’en reste pas moins que l’accumulation monumentale des capitaux doit être réinvestie et pour satisfaire aux exigences de rentabilité prohibitives, la spéculation bat son plein. En quoi tout cela peut-il représenter une sortie de crise responsable ?
La croissance insoutenable exigée par les marchés représente le principal danger pour l’économie mondiale. Au point que les investissements nécessaires à l’économie réelle vont se réfugier dans des produits financiers purement spéculatifs beaucoup plus rentables (50% des profits totaux dans le monde). L’instrument de la croissance que constituent les marchés ruine ainsi le fondement même de sa propre existence au mépris des aspirations humaines à un projet de vie commun.

Question pour un projet de société 

Si nous prenons le temps de réfléchir à la fin plutôt que de focaliser sur les moyens, le volume de richesses produit nous apparaîtra suffisant. Il s’agit plutôt de répartir autrement. Plutôt orienter la production actuelle vers des domaines d’activité en adéquation avec les besoins sociaux et le respect de l’environnement. La véritable quête du progrès n’est certainement pas dans la consommation de masse mais dans le temps libre conquis sur le travail pour profiter de ses enfants, de ses amis, de sa vie personnelle, de sa vie sociale et, disons le : s’aimer. La diminution du temps de travail est la condition fondamentale de l’épanouissement de la société.

la croissance, le consumérisme, le travail, les marchés financiers ne sont pas notre horizon”

La principale richesse que nous devons produire, c’est notre capacité à se cultiver, à échanger (politique, sport, engagement associatif…), à se consacrer à des disciplines hautement spirituelles : la philosophie, l’art, la poésie, la recherche… Partager les bénéfices de la science afin que chacun soit soigné, éduqué, transporté, soulagé des maux et des tâches ingrates de l’existence. Délaisser le centre commercial pour flâner dans les musées et les jardins du Luxembourg, n'en déplaise à Robert Fogel. Enfin prendre le temps de vivre et non s’épuiser dans le fonctionnement stérile de l’économie marchande et la gabegie de sa consommation.

Quand pourrons-nous affirmer simplement que la croissance, le consumérisme, le travail, les marchés financiers ne sont pas notre horizon ? Ils sont tout ce qui limite notre existence car ils ne sont porteurs d’aucun projet de société. Parce qu’ils ne sont qu’une réponse temporaire au règne de la nécessité, ils sont appelés à disparaître.
Ce que nous souhaitons, ce n’est pas la consommation de richesses matérielles mais la jouissance des relations interpersonnelles, ce n’est pas passer sa vie à la gagner mais partager le travail pour que la vie ne soit pas esclave du travail. Les marchés n’ont pas à êtres rassurés car ils confisquent la capacité de délibération démocratique des peuples à contrôler leur modèle de développement. Voilà ce que nous pourrions répondre si la question nous était posée.

2 commentaires:

  1. Excellent article: c'est la question fondamentale qui devrait s'inscrire constitutionnellement ,avec ses corollaires.Je me dis aussi que la Constitution de 1958, toujours valide,va dans le sens humaniste de la protection du citoyen; a contrario, de très nombreux articles du traité de Lisbonne , construit dans le seul but de favoriser les marchés, s'avèrent contraires à cette constitution, enlèvent toute démocratie aux citoyens, ruinent les états et les peuples.Et le Conseil Constitutionnel, alors ????

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  2. Malheureusement aucun candidat aux primaires ps propose la RTT comme réponse au chômage de masse.
    Même Filoche de l'aile gauche du ps et Mélenchon sont à la défensive sur ce thème.Il n'y a que les écologistes qui parlent de la semaine de 4 jours.
    Jusqu'à quand la gauche sera à la défensive sur la réduction du temps de travail?,elle s'incline face à l'offensive médiatique orchestrée par le medef depuis 10 ans.

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