« Le mot faillite n’est plus un mot abstrait » a déclaré François Fillon le 7 novembre 2011, lors de la présentation du deuxième plan de rigueur. Il en jubilait presque, l’austère qui ne se marre pas. Il aurait pu ajouter : « Je vous l’avais bien dit ! ». En effet, dès 2007, il nous annonçait déjà qu’il était « à la tête d’un Etat en faillite ». Il avait doublement faux : il n’est pas à la tête de l’Etat (c’est Nicolas Sarkozy qui est à la tête de l’Etat, François Fillon n’est que son « collaborateur » selon ses propres termes) et la France n’est pas en faillite, pas plus aujourd’hui qu’hier. Un État ne peut pas faire faillite : on ne peut pas « fermer » un Etat et licencier ses habitants ! Ce sont les créanciers qui ont le plus à craindre dans l’histoire, et pourtant ce sont eux qui mènent la danse.
Les plans de rigueur semblent être désormais le mode de
gouvernement, voire de « gouvernance », privilégié dans les pays
européens. Certains sont décidés sur un coin de table, comme en Italie où
Silvio Berlusconi annonce dans une lettre à destination des autres dirigeants
européens des décisions aussi « insignifiantes » que le recul de
l’âge de la retraite à 67 ans et la libéralisation du marché du travail (mesures
non votées…pour l’instant). Certains sont bricolés à la va-vite comme en
France, où les deux plans de rigueur d’août et de novembre 2011 regroupent pas
moins de 25 mesurettes hétéroclites (taxe sur les sodas, augmentation des prix
du tabac, taxe sur les mutuelles, modifications des revalorisations des
allocations familiales, gel du barème des impôts, relèvement du taux réduit de
TVA…). Tous, au final, s’avèreront inefficaces comme le cas grec l’a prouvé où
les sévères mesures d’austérité ont conduit à une récession aggravée, et donc à
une augmentation de la dette qu’ils prétendaient combattre.
La rigueur semble être l’horizon indépassable promis aux
peuples européens, sous prétexte que les « marchés » la demandent.
Mais est-ce bien sûr ? Les marchés, composés d’épargnants qui ont acheté
des obligations d’Etat veulent peut-être « seulement » être
remboursés. C’est le conformisme et le manque d’imagination des dirigeants
européens qui les conduit à interpréter cette attente comme une demande de
baisse aveugle de la dépense publique. Il est vrai aussi que ça arrange bon
nombre d’entre eux, car cela leur permet de légitimer le démantèlement de la
puissance publique : « ce n’est pas de notre faute, c’est les
marchés ».
Des sacrifices inutiles pour les populations
Dans l’émission « Mots croisés », le politologue
Dominique Reynié (au passage un politologue est censé étudier la politique,
alors que Mr Reynié en fait ouvertement…et plutôt à droite) allait plutôt dans
ce sens en disant qu’il ne faut pas parler de « rigueur », mais de
« révolution ». Selon lui, nous sommes en train déconstruire petit à
petit le modèle des trente dernières années (les acquis sociaux, l’Etat
providence…). Il a quand même concédé qu’il fallait le remplacer par
« autre chose ». On voit bien la déconstruction, en revanche cet « autre chose » tarde à se profiler…
C’est peut-être cela qu’a voulu dire François Hollande en
affirmant qu’il voulait « donner du sens à la rigueur ». Toutefois,
on peut lui reprocher de s’inscrire d’emblée dans les schémas existants, de
jouer avec les règles de ses adversaires…
“Pourquoi alors la création monétaire lorsqu’elle est le fait des banques privées serait-elle autorisée ?”
N’y a-t-il pas un rapport de force à créer avec les
marchés ? Ne dit-on pas : « Quand vous devez 10 000 €
à la banque, la banque vous tient. Quand vous devez 10 million d’€ à la banque,
c’est vous qui tenez la banque » ? Si tous les Etats européens se mettaient
d’accord, ils pourraient sans aucun doute renégocier leurs dettes. De toutes
façon, quand plus aucun pays ne sera « triple A », que se
passera-t-il ? Tant que certains Etats (notamment la France et
l’Allemagne) sont encore « AAA », leurs dirigeants sont enclins à
tout faire pour garder ce sésame vers l’endettement à faible taux. S’ils le
perdent à leur tour, accepteront-ils de voir s’envoler les taux d’intérêts ou
exploreront-ils enfin d’autres solutions ? Mais d’ici là que de sacrifices
inutiles pour les peuples ! Car des solutions alternatives à la baisse des
dépenses publiques existent et mériteraient d’être sérieusement étudiées. Il y
a bien sûr la monétisation de la dette publique, c’est-à-dire son financement
par la banque centrale, soit directement, soit par le biais d’un organisme
public national qui pourrait emprunter à la BCE. Inflationniste, diront
certains ? Pourquoi alors la création monétaire lorsqu’elle est le fait
des banques privées serait-elle autorisée ? Et puis, la création monétaire
est inflationniste lorsque l’économie tourne à plein régime, ce qui est loin d’être
le cas aujourd’hui.
L’autre argument pour expliquer la situation des Etats
européens est le « laxisme budgétaire des trente dernières années »
(dixit François Fillon). A cela, on peut répondre que des pays comme l’Espagne
ou l’Irlande étaient présentés comme des modèles de gestion des finances
publiques, avant que l’endettement privé excessif ne les contraigne à faire
exploser leur dette publique pour renflouer leur secteur bancaire et soutenir
l’activité. Car n’oublions pas que les origines de la crise actuelle sont avant
tout liées aux dérives du secteur bancaire et les Etats ont été appelés à la
rescousse pour relancer l’activité. Il y a deux ans encore, on ne parlait pas
de plans de rigueur, mais de plans de relances… A cet effet conjoncturel s’ajoute
un effet structurel qui n’est pas la dérive des dépenses, mais la baisse des
recettes. En France, par exemple, un rapport parlementaire chiffre à 100
milliards les pertes de recettes liées aux réformes fiscales menées depuis
2000. On a perdu de vue que les Etats ont la possibilité de fixer leurs
recettes en augmentant les impôts. Il s’agirait d’annuler « l'effet
jackpot » de ces dernières années : avec l'argent économisé sur leurs
impôts, les riches ont pu acquérir les titres (porteurs d'intérêts) de la dette publique émise pour financer les déficits publics provoqués par les réductions d'impôts...
Pour l’instant, les pays européens s’imposent des
« règles d’or » afin de contraindre encore plus leur politique
budgétaire. Ils renoncent sans débat préalable, via le « semestre européen »,
à une part supplémentaire de leur souveraineté en confiant la surveillance de
leur budget à la Commission européenne, entité non démocratique qui n’a pas de
comptes à rendre devant le Parlement européen.
Une autre forme d’abandon de souveraineté commence à voir le
jour dans les pays en difficulté (Grèce, Italie) : l’avènement de
gouvernements « d’union nationale » ou de gouvernements
« techniques ». Mis en place sous la pression des « marchés »,
ces gouvernements n’engageront pas de réformes radicales et seront plus
malléables. De plus, ils n’ont pas de mandat du peuple. Pas plus que Merkel et
Sarkozy n’ont de mandat pour imposer leur diktat aux autres pays européens, et
notamment aux grecs. Pour justifier ces accommodements avec la démocratie, on
nous répète que « pendant la tempête, il faut un capitaine qui décide
rapidement ». Donc pas le temps de débattre, encore moins de voter… Sauf
que le mandat du capitaine est à peu près clair : sauver son bateau et son
équipage et les ramener à bon port. Or dans le cas qui nous préoccupe, le
mandat que se sont octroyés nos dirigeants n’est certainement pas celui que
lui aurait confié le peuple s’il avait été consulté, à savoir « assurer
le plein emploi, la cohésion sociale », mais plutôt « sauver le
triple A », voire « sauver les établissements financiers ».
“les partis sont surtout composés d’élus dont une des préoccupations est de faire le vide autour d’eux afin d’assurer leur réélection”
“les partis sont surtout composés d’élus dont une des préoccupations est de faire le vide autour d’eux afin d’assurer leur réélection”
Ainsi, la crise, d’abord bancaire, devenue crise financière,
puis crise économique, puis crise sociale est désormais une crise démocratique.
Les peuples n’ont plus confiance dans ceux qui sont censés les représenter,
mais qui semblent de plus en plus déconnectés des réalités et ne plus avoir
d’autre recours que la gesticulation sur des sujets secondaires. Ainsi, Nicolas
Sarkozy a ressorti son vieux cheval de bataille de la « lutte contre la
fraude sociale ». Comme si la vraie fraude n’était pas ailleurs, du côté par
exemple de la fraude fiscale, voire de l’optimisation fiscale que pratiquent en
toute légalité ses amis du Fouquets’s ?
La proposition d’Arnaud Montebourg visant à limiter à 67 ans
l’âge des candidats socialistes aux législatives, au-delà du côté « pavé
dans la marre », semble intéressante dans la mesure où elle interroge le
fonctionnement même des partis politiques et relance le non cumul des mandats, au-delà du seul PS. En effet, en
théorie, un parti politique est fait pour proposer des idées, mais aussi pour
faire émerger, parmi ses militants, ceux qui sont le mieux à même de les mettre
en pratique. Or, les partis sont surtout composés d’élus dont une des préoccupations
est de faire le vide autour d’eux afin d’assurer leur réélection. Ce qui
explique par exemple, que l’Assemblée nationale compte 9 élus de plus de 60 ans
pour 1 de moins de 40. Mais l’âge n’est pas le seul facteur discriminant :
il n’y a quasiment pas d’ouvriers parmi les députés, alors que les médecins,
les enseignants et les hauts fonctionnaires sont sur-représentés… Comment alors
parler de « représentation nationale » ?
Ce faisant, les partis concourent à la sclérose de notre
démocratie, mais aussi ils privilégient le côté gestionnaire, au détriment des
propositions de changement. Depuis des années, le Parti Socialiste est
d’ailleurs incapable de formuler un projet mobilisateur et clair pour le peuple
de gauche. Invoquer les candidatures « parasites » pour expliquer les
échecs, compter sur l’anti-sarkozysme pour espérer une victoire, tout cela
finit par être un peu court.
Certains proposent de désigner le Président de la République
par… tirage au sort. Sans peut-être aller jusque là, il est nécessaire de mettre en chantier la
rénovation de notre démocratie pour garantir une vraie représentativité de nos
dirigeants, une réelle responsabilité devant le peuple redevenu souverain. Même
un ultra-modéré comme Jean-Pierre Jouyet prédit que les citoyens se
« révolteront contre la dictature des marchés ».
Effectivement, tout le monde a le sentiment que ça ne peut
plus durer comme ça.
Le changement se produira-t-il de façon civilisée ou au contraire
de façon brutale ? C’est toute la question…
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