mardi 22 novembre 2011

La rigueur, dernier symptôme de la crise de la démocratie


« Le mot faillite n’est plus un mot abstrait » a déclaré François Fillon le 7 novembre 2011, lors de la présentation du deuxième plan de rigueur. Il en jubilait presque, l’austère qui ne se marre pas. Il aurait pu ajouter : « Je vous l’avais bien dit ! ». En effet, dès 2007, il nous annonçait déjà qu’il était « à la tête d’un Etat en faillite ». Il avait doublement faux : il n’est pas à la tête de l’Etat (c’est Nicolas Sarkozy qui est à la tête de l’Etat, François Fillon n’est que son « collaborateur » selon ses propres termes) et la France n’est pas en faillite, pas plus aujourd’hui qu’hier. Un État ne peut pas faire faillite : on ne peut pas « fermer » un Etat et licencier ses habitants ! Ce sont les créanciers qui ont le plus à craindre dans l’histoire, et pourtant ce sont eux qui mènent la danse.

les sévères mesures d’austérité ont conduit à une récession aggravée 

Vous avez dit "plan" de rigueur ? 

Les plans de rigueur semblent être désormais le mode de gouvernement, voire de « gouvernance », privilégié dans les pays européens. Certains sont décidés sur un coin de table, comme en Italie où Silvio Berlusconi annonce dans une lettre à destination des autres dirigeants européens des décisions aussi « insignifiantes » que le recul de l’âge de la retraite à 67 ans et la libéralisation du marché du travail (mesures non votées…pour l’instant). Certains sont bricolés à la va-vite comme en France, où les deux plans de rigueur d’août et de novembre 2011 regroupent pas moins de 25 mesurettes hétéroclites (taxe sur les sodas, augmentation des prix du tabac, taxe sur les mutuelles, modifications des revalorisations des allocations familiales, gel du barème des impôts, relèvement du taux réduit de TVA…). Tous, au final, s’avèreront inefficaces comme le cas grec l’a prouvé où les sévères mesures d’austérité ont conduit à une récession aggravée, et donc à une augmentation de la dette qu’ils prétendaient combattre.

La rigueur semble être l’horizon indépassable promis aux peuples européens, sous prétexte que les « marchés » la demandent. Mais est-ce bien sûr ? Les marchés, composés d’épargnants qui ont acheté des obligations d’Etat veulent peut-être « seulement » être remboursés. C’est le conformisme et le manque d’imagination des dirigeants européens qui les conduit à interpréter cette attente comme une demande de baisse aveugle de la dépense publique. Il est vrai aussi que ça arrange bon nombre d’entre eux, car cela leur permet de légitimer le démantèlement de la puissance publique : « ce n’est pas de notre faute, c’est les marchés ».

Des sacrifices inutiles pour les populations

Dans l’émission « Mots croisés », le politologue Dominique Reynié (au passage un politologue est censé étudier la politique, alors que Mr Reynié en fait ouvertement…et plutôt à droite) allait plutôt dans ce sens en disant qu’il ne faut pas parler de « rigueur », mais de « révolution ». Selon lui, nous sommes en train déconstruire petit à petit le modèle des trente dernières années (les acquis sociaux, l’Etat providence…). Il a quand même concédé qu’il fallait le remplacer par « autre chose ». On voit bien la déconstruction, en revanche cet « autre chose » tarde à se profiler…

C’est peut-être cela qu’a voulu dire François Hollande en affirmant qu’il voulait « donner du sens à la rigueur ». Toutefois, on peut lui reprocher de s’inscrire d’emblée dans les schémas existants, de jouer avec les règles de ses adversaires…

Pourquoi alors la création monétaire lorsqu’elle est le fait des banques privées serait-elle autorisée ?

N’y a-t-il pas un rapport de force à créer avec les marchés ? Ne dit-on pas : «  Quand vous devez 10 000 € à la banque, la banque vous tient. Quand vous devez 10 million d’€ à la banque, c’est vous qui tenez la banque » ?  Si tous les Etats européens se mettaient d’accord, ils pourraient sans aucun doute renégocier leurs dettes. De toutes façon, quand plus aucun pays ne sera « triple A », que se passera-t-il ? Tant que certains Etats (notamment la France et l’Allemagne) sont encore  « AAA », leurs dirigeants sont enclins à tout faire pour garder ce sésame vers l’endettement à faible taux. S’ils le perdent à leur tour, accepteront-ils de voir s’envoler les taux d’intérêts ou exploreront-ils enfin d’autres solutions ? Mais d’ici là que de sacrifices inutiles pour les peuples ! Car des solutions alternatives à la baisse des dépenses publiques existent et mériteraient d’être sérieusement étudiées. Il y a bien sûr la monétisation de la dette publique, c’est-à-dire son financement par la banque centrale, soit directement, soit par le biais d’un organisme public national qui pourrait emprunter à la BCE. Inflationniste, diront certains ? Pourquoi alors la création monétaire lorsqu’elle est le fait des banques privées serait-elle autorisée ? Et puis, la création monétaire est inflationniste lorsque l’économie tourne à plein régime, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.

La contrainte imposée des politiques budgétaires

L’autre argument pour expliquer la situation des Etats européens est le « laxisme budgétaire des trente dernières années » (dixit François Fillon). A cela, on peut répondre que des pays comme l’Espagne ou l’Irlande étaient présentés comme des modèles de gestion des finances publiques, avant que l’endettement privé excessif ne les contraigne à faire exploser leur dette publique pour renflouer leur secteur bancaire et soutenir l’activité. Car n’oublions pas que les origines de la crise actuelle sont avant tout liées aux dérives du secteur bancaire et les Etats ont été appelés à la rescousse pour relancer l’activité. Il y a deux ans encore, on ne parlait pas de plans de rigueur, mais de plans de relances… A cet effet conjoncturel s’ajoute un effet structurel qui n’est pas la dérive des dépenses, mais la baisse des recettes. En France, par exemple, un rapport parlementaire chiffre à 100 milliards les pertes de recettes liées aux réformes fiscales menées depuis 2000. On a perdu de vue que les Etats ont la possibilité de fixer leurs recettes en augmentant les impôts. Il s’agirait d’annuler « l'effet jackpot » de ces dernières années : avec l'argent économisé sur leurs impôts, les riches ont pu acquérir les titres (porteurs d'intérêts) de la dette publique émise pour financer les déficits publics provoqués par les réductions d'impôts... 

Pour l’instant, les pays européens s’imposent des « règles d’or » afin de contraindre encore plus leur politique budgétaire. Ils renoncent sans débat préalable, via le « semestre européen », à une part supplémentaire de leur souveraineté en confiant la surveillance de leur budget à la Commission européenne, entité non démocratique qui n’a pas de comptes à rendre devant le Parlement européen.

Un déni de démocratie

Une autre forme d’abandon de souveraineté commence à voir le jour dans les pays en difficulté (Grèce, Italie) : l’avènement de gouvernements « d’union nationale » ou de gouvernements « techniques ». Mis en place sous la pression des « marchés », ces gouvernements n’engageront pas de réformes radicales et seront plus malléables. De plus, ils n’ont pas de mandat du peuple. Pas plus que Merkel et Sarkozy n’ont de mandat pour imposer leur diktat aux autres pays européens, et notamment aux grecs. Pour justifier ces accommodements avec la démocratie, on nous répète que « pendant la tempête, il faut un capitaine qui décide rapidement ». Donc pas le temps de débattre, encore moins de voter… Sauf que le mandat du capitaine est à peu près clair : sauver son bateau et son équipage et les ramener à bon port. Or dans le cas qui nous préoccupe, le mandat que se sont octroyés nos dirigeants n’est certainement pas celui que lui aurait confié le peuple s’il avait été consulté, à savoir « assurer le plein emploi, la cohésion sociale », mais plutôt « sauver le triple A », voire « sauver les établissements financiers ».

les partis sont surtout composés d’élus dont une des préoccupations est de faire le vide autour d’eux afin d’assurer leur réélection

Ainsi, la crise, d’abord bancaire, devenue crise financière, puis crise économique, puis crise sociale est désormais une crise démocratique. Les peuples n’ont plus confiance dans ceux qui sont censés les représenter, mais qui semblent de plus en plus déconnectés des réalités et ne plus avoir d’autre recours que la gesticulation sur des sujets secondaires. Ainsi, Nicolas Sarkozy a ressorti son vieux cheval de bataille de la « lutte contre la fraude sociale ». Comme si la vraie fraude n’était pas ailleurs, du côté par exemple de la fraude fiscale, voire de l’optimisation fiscale que pratiquent en toute légalité ses amis du Fouquets’s ?

La proposition d’Arnaud Montebourg visant à limiter à 67 ans l’âge des candidats socialistes aux législatives, au-delà du côté « pavé dans la marre », semble intéressante dans la mesure où elle interroge le fonctionnement même des partis politiques et relance le non cumul des mandats, au-delà du seul PS. En effet, en théorie, un parti politique est fait pour proposer des idées, mais aussi pour faire émerger, parmi ses militants, ceux qui sont le mieux à même de les mettre en pratique. Or, les partis sont surtout composés d’élus dont une des préoccupations est de faire le vide autour d’eux afin d’assurer leur réélection. Ce qui explique par exemple, que l’Assemblée nationale compte 9 élus de plus de 60 ans pour 1 de moins de 40. Mais l’âge n’est pas le seul facteur discriminant : il n’y a quasiment pas d’ouvriers parmi les députés, alors que les médecins, les enseignants et les hauts fonctionnaires sont sur-représentés… Comment alors parler de « représentation nationale » ?

Ce faisant, les partis concourent à la sclérose de notre démocratie, mais aussi ils privilégient le côté gestionnaire, au détriment des propositions de changement. Depuis des années, le Parti Socialiste est d’ailleurs incapable de formuler un projet mobilisateur et clair pour le peuple de gauche. Invoquer les candidatures « parasites » pour expliquer les échecs, compter sur l’anti-sarkozysme pour espérer une victoire, tout cela finit par être un peu court.

Certains proposent de désigner le Président de la République par… tirage au sort. Sans peut-être aller jusque là, il est nécessaire de mettre en chantier la rénovation de notre démocratie pour garantir une vraie représentativité de nos dirigeants, une réelle responsabilité devant le peuple redevenu souverain. Même un ultra-modéré comme Jean-Pierre Jouyet prédit que les citoyens se « révolteront contre la dictature des marchés ».

Effectivement, tout le monde a le sentiment que ça ne peut plus durer comme ça.
Le changement se produira-t-il de façon civilisée ou au contraire de façon brutale ? C’est toute la question…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire