dimanche 20 mai 2012

«Derrière l’arbre du salaire des ministres, une forêt d’avantages cachés»

Par Eric Verhaeghe, publié dans Atlantico - François Hollande a annoncé aujourd’hui en conseil des ministres une diminution de 30% de la rémunération des membres du gouvernement. Mais la France est encore loin d'une moralisation complète de la rémunération des cabinets ministériels.


Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est l'ancien Président de l'APEC
 (l'Association pour l'emploi des cadres) et auteur de  
Jacob-Duvernet (septembre 2011).
Comme prévu sur sa feuille de route parue pendant la campagne, François Hollande a annoncé ce jeudi en conseil des ministres une diminution de la rémunération des ministres à hauteur de 30%. Ce geste est important parce qu’il témoigne  de la volonté affichée par la nouvelle équipe de rompre avec la logique prêtée au précédent quinquennat, en montrant personnellement l’exemple. 

En même temps, le nouveau Président s’attaque de façon très symbolique et très partielle à un sujet très vaste, et très ancien en France, la rémunération du gouvernement. Rappelons-nous de la décision très importante prise par Lionel Jospin en 2001: la suppression des fonds secrets, c’est-à-dire le terme qu’il avait mis à la distribution d’argent liquide dans les cabinets ministériels. Il y avait alors substitué les indemnités de sujétion particulière (les fameuses ISP) qui sont versées sur fiche de paye et théoriquement déclarées au Parlement en loi de finances. 

Lionel Jospin eut le mérite de rendre transparentes des pratiques obscures qui permettaient aux conseillers de se verser des sommes parfois très coquettes en toute illégalité. Les mauvaises langues disent même que les fonds secrets servaient régulièrement à financer des campagnes électorales. Ou des dépenses privées des ministres. 

Dans tous les cas, la suppression des fonds secrets a obligé, dès août 2002, à revaloriser fortement le salaire des ministres. Ceux-ci n’étaient pas habilités à percevoir des indemnités de sujétion et se retrouvaient donc avec le seul salaire versé par l’Etat. Par décret, il fut décidé d’en changer le mode de calcul en l’indexant sur les plus hautes rémunérations de la fonction publique. Cette décision revenait à augmenter les salaires des ministres de 70%.

François Hollande a donc choisi de revenir partiellement sur cette mesure. Si l’on comprend bien l’intention et si celle-ci paraît louable, on regrettera néanmoins que cet engagement n’aille pas jusqu’à une moralisation complète de la rémunération des cabinets ministériels. En effet, derrière l’arbre du salaire brut des ministres, se cache une forêt d’avantages qu’il serait bon de rendre transparents et de moraliser.

Tout d’abord, concernant les ministres eux-mêmes, la mesure passe sous silence les avantages en nature dont ils disposent: le logement, les frais de bouche, parfois les frais de garde des enfants. Il est de notoriété publique que le personnel de maison dont bénéficient les ministres peut coûter très cher. 

Ensuite, la mesure ne dit rien concernant les membres de cabinet. Hors, ceux-ci sont parfois pléthoriques, et peuvent bénéficier d’avantages financiers relativement importants.

Il existe en fait deux cas de figure. Le moins choquant concerne les collaborateurs de cabinet recrutés sur contrats. On notera que ces contrats sont très précaires et permettent des ruptures unilatérales sans aucun préavis et sans indemnité. Il s’agit le plus souvent de jeunes conseillers ou attachés, notamment parlementaires, qui ont un pedigree très politique. Pour leur rémunération, le ministre dispose d’un volume financier global qu’il répartit à sa guise. Il peut décider d’avoir peu de conseillers bien payés, ou beaucoup de conseillers moins bien payés. L’essentiel est de ne pas dépasser la masse salariale inscrite au budget.

Le plus choquant concerne les fonctionnaires qui «montent» en cabinet. Ce sport très pratiqué au moment des nominations ministérielles constitue souvent une timbale pour les intéressés. En effet, le service en cabinet permet de conserver tous les avantages du service actif dans la fonction publique: rémunération, ancienneté, protection, en y ajoutant les avantages du cabinet: primes, privilèges divers, postes de sortie prestigieux. Les primes peuvent s’élever mensuellement à plusieurs milliers d’euros et permettent ainsi de doubler et plus la rémunération de base.

Certains considéreront que les fonctionnaires récupèrent ainsi l’énergie qu’ils ont mises à ramper dans la boue pour obtenir leur nomination en cabinet. En termes démocratiques, on s’étonnera néanmoins de voir qu’un fonctionnaire, supposé politiquement neutre, puisse se consacrer à des missions politiques avec tous les avantages qu’elles procurent, sans aucun des inconvénients.

Une mesure véritablement transparente consisterait à interdire cette pratique, en exigeant des fonctionnaires en poste dans les cabinets qu’ils renoncent à leur statut au moins pendant la période où ils servent un ministre. D’une part, cette mesure resterait très protectrice, puisqu’elle garantirait le retour automatique dans la fonction publique à l’issue du passage en cabinet. D’autre part, elle permettrait de limiter la pléthore de fonctionnaires qui grenouillent activement dans les antichambres de ministre. Et qui nourrissent l’idée qu’il existe une caste de mandarins qui a confisqué le pouvoir à son profit.

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