dimanche 8 juillet 2012

Tim Jackson : « On est au bord du gouffre écologique »

 investir dans l’emploi, réformer les marchés financiers, remettre en cause le PIB... 

Sophie Verney-Caillat | Rue89 24/09/2010

Tim Jackson
L’économiste anglais Tim Jackson est un peu devenu le « gourou » des théoriciens de la fin de la croissance. Face à l’urgence écologique, il remet en cause l’idée que la croissance verte pourrait suffire. Professeur en développement durable au Centre for Environmental Strategy (CES) de l’université du Surrey, Tim Jackson a rendu en 2009 un rapport explosif au gouvernement britannique.

Le livre qui en est issu, « Prospérité sans croissance : la transition vers une économie durable », bouleverse la macro-économie traditionnelle. Traduit en français en mai dernier aux éditions de Boeck, il connaît un agrand retentissement sur le net, mais assez peu dans les médias traditionnels.

Tim Jackson part d’un constat presque enfantin : « une économie en croissance constante répartie sur une planète finie ne marche pas », et propose une prospérité où seraient décuplés les investissements durables et retrouvé l’épanouissement personnel.

Comment a été accueillie votre analyse ?                 

Le gouvernement britannique n’a pas répondu formellement au rapport, il a simplement pris acte de ses conclusions.

Il espérait que mon livre tombe dans l’oubli, mais indirectement a dû le prendre en considération car des membres du gouvernement se sont fait interpeller à son sujet lors de conférences.

Je suis aussi entendu par certains membres de l’establishment qui, avec la crise, montrent une certaine humilité... dans le discours du moins !

Que pensez-vous du débat sur la décroissance ?

Ce terme a été popularisé par des Français, il est plus en vogue chez vous qu’en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis.

Je propose plutôt de parler du « dilemme de la croissance » : la croissance continuelle de l’économie matérielle nous pousse de plus en plus au bord du précipice écologique. Mais la décroissance a tendance à être instable, au moins à l’intérieur du système existant car une baisse de la consommation mène au chômage et à une spirale récessionniste.
La réponse courante à ce dilemme est ce qu’on appelle le « découplage », qui consiste à faire augmenter le rendement économique en le « découplant » du rythme de la production matérielle.

LES PISTES DE TIM JACKSON
 Réduction de sa consommation (ce qui suppose un changement dans les valeurs, les modes de vie, la structure sociale pour « se libérer du consumérisme »).
 Abandon de la course pour la productivité du travail : développement de services à la personne et de l’économie solidaire.
 Investissements massifs dans l’énergie propre, les économies d’énergie (ce qui ne pourra être financé que si l’on accepte de réduire sa consommation).
• Partage du temps de travail.
 Et pourquoi pas revenu d’existence, rétribuant l’apport de chaque habitant à la société.

Or, l’efficacité ne suffit pas à réduire l’intensité carbone de nos économies. C’est totalement irréaliste de croire qu’on va y arriver. La seule solution est de reconnaître les limites physiques dans lesquelles nous nous trouvons, et donc de limiter la croissance.

La nouvelle théorie macro-économique que je propose nécessite de réparer le modèle existant : investir dans l’emploi, réformer les marchés financiers, remettre en cause le PIB...

Vous appelez de vos vœux une rupture avec le « moteur de la croissance » ; quel est-il ?

Nous sommes enfermés dans une cage de fer : encouragés à dépenser de l’argent que nous n’avons pas, pour acheter des choses dont nous n’avons pas besoin, pour créer des impressions qui ne dureront pas, sur des gens qui ne nous importent pas.

On a construit le consommateur pour que le système survive, c’est ce qui est pervers. Le plus important est de créer un monde prospère où les gens s’épanouissent.

Quel système politique faut-il mettre en place pour cela ? Pensez-vous qu’il faille rompre avec le capitalisme ?

Ça dépend ce qu’on appelle capitalisme : en termes de stock, il faut étendre le capital humain, social, naturel. Mais si l’on parle de capitalisme comme de la propriété privée des moyens de production, et des prérogatives qui en découlent, là je suis pour le limiter. Les décisions d’investissement sont essentielles pour créer le changement, et l’Etat doit y prendre une plus grande part.

Votre discours est-il audible auprès des pays pauvres qui, eux, n’aspirent qu’à croître ?

Pour arriver à une égalité au niveau global, ce sont les pays riches, qui consomment trop de ressources sans pour autant être heureux, que se pose le défi, pas aux pauvres. D’ailleurs, les gens qui m’invitent au Brésil ou en Chine, sont très conscients de l’intérêt d’avoir un modèle de développement qui ne suive pas complètement l’exemple du consumérisme occidental. 

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