“ investir dans l’emploi, réformer les marchés financiers, remettre en cause le PIB...”
Sophie Verney-Caillat | Rue89 24/09/2010
Tim Jackson |
L’économiste anglais Tim Jackson est un peu devenu le
« gourou » des théoriciens de la fin de la croissance. Face à
l’urgence écologique, il remet en cause l’idée que la croissance verte pourrait
suffire. Professeur en développement durable au Centre
for Environmental Strategy (CES) de l’université du Surrey, Tim
Jackson a rendu en 2009 un rapport explosif au gouvernement britannique.
Le livre qui en est issu, « Prospérité sans croissance : la
transition vers une économie durable », bouleverse la macro-économie
traditionnelle. Traduit en français en mai dernier aux éditions de Boeck, il
connaît un agrand retentissement sur le net, mais assez peu dans les médias
traditionnels.
Tim Jackson part d’un constat presque enfantin : « une
économie en croissance constante répartie sur une planète finie ne marche
pas », et propose une prospérité où seraient décuplés les investissements
durables et retrouvé l’épanouissement personnel.
Comment a
été accueillie votre analyse ?
Le gouvernement britannique n’a pas répondu formellement au rapport, il
a simplement pris acte de ses conclusions.
Il espérait que mon livre tombe dans l’oubli, mais indirectement a dû
le prendre en considération car des membres du gouvernement se sont fait
interpeller à son sujet lors de conférences.
Je suis aussi entendu par certains membres de l’establishment qui, avec
la crise, montrent une certaine humilité... dans le discours du moins !
Que pensez-vous du débat sur la décroissance ?
Ce terme a été popularisé par des Français, il est plus en vogue chez
vous qu’en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis.
Je propose plutôt de parler du « dilemme de la
croissance » : la croissance continuelle de l’économie matérielle
nous pousse de plus en plus au bord du précipice écologique. Mais la
décroissance a tendance à être instable, au moins à l’intérieur du système
existant car une baisse de la consommation mène au chômage et à une spirale
récessionniste.
La réponse courante à ce dilemme est ce qu’on appelle le
« découplage », qui consiste à faire augmenter le rendement
économique en le « découplant » du rythme de la production
matérielle.
LES PISTES DE TIM JACKSON
• Réduction de sa
consommation (ce qui suppose un changement dans les valeurs, les modes de vie,
la structure sociale pour « se libérer du consumérisme »).
• Abandon de la
course pour la productivité du travail : développement de services à la
personne et de l’économie solidaire.
• Investissements
massifs dans l’énergie propre, les économies d’énergie (ce qui ne pourra être
financé que si l’on accepte de réduire sa consommation).
• Partage du temps de travail.
• Et pourquoi pas revenu d’existence, rétribuant l’apport de chaque habitant à la société.
• Partage du temps de travail.
• Et pourquoi pas revenu d’existence, rétribuant l’apport de chaque habitant à la société.
Or, l’efficacité ne suffit pas à réduire l’intensité carbone de nos
économies. C’est totalement irréaliste de croire qu’on va y arriver. La seule
solution est de reconnaître les limites physiques dans lesquelles nous nous
trouvons, et donc de limiter la croissance.
La nouvelle théorie macro-économique que je propose nécessite de
réparer le modèle existant : investir dans l’emploi, réformer les marchés
financiers, remettre en cause le PIB...
Vous appelez de vos vœux une rupture avec le « moteur de la
croissance » ; quel est-il ?
Nous sommes enfermés dans une cage de fer : encouragés à dépenser
de l’argent que nous n’avons pas, pour acheter des choses dont nous n’avons pas
besoin, pour créer des impressions qui ne dureront pas, sur des gens qui ne
nous importent pas.
On a construit le consommateur pour que le système survive, c’est ce
qui est pervers. Le plus important est de créer un monde prospère où les gens
s’épanouissent.
Quel système politique faut-il mettre en place pour cela ?
Pensez-vous qu’il faille rompre avec le capitalisme ?
Ça dépend ce qu’on appelle capitalisme : en termes de stock, il
faut étendre le capital humain, social, naturel. Mais si l’on parle de
capitalisme comme de la propriété privée des moyens de production, et des
prérogatives qui en découlent, là je suis pour le limiter. Les décisions
d’investissement sont essentielles pour créer le changement, et l’Etat doit y
prendre une plus grande part.
Votre discours est-il audible auprès des pays pauvres qui, eux,
n’aspirent qu’à croître ?
Pour arriver à une égalité au niveau global, ce sont les pays riches,
qui consomment trop de ressources sans pour autant être heureux, que se pose le
défi, pas aux pauvres. D’ailleurs, les gens qui m’invitent au Brésil ou en
Chine, sont très conscients de l’intérêt d’avoir un modèle de développement qui
ne suive pas complètement l’exemple du consumérisme occidental.
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