vendredi 20 juillet 2012

Proposition pour financer l'investissement, la croissance et l'emploi en Europe

Par Stephany Griffith-Jones, Matthias Kollatz-Ahnen et Lars Andersen
Le Monde.fr | 02.07.2012

Les stratégies anti-crise européennes, qui mettent exclusivement l'accent sur l'austérité collective, ne sont pas efficaces ; elles reposent sur des mauvais calculs, des hypothèses économiques erronées et négligent les leçons de l'histoire. Tel est depuis longtemps l'argument majeur de la Fondation européenne d'études progressistes. Une thèse mise en avant en mai 2012, à Rome, lors d'une réunion d'économistes renommés qui ont présenté des suggestions pour une autre politique économique. Car dans l'actuel cocktail anti-crise, un ingrédient clé fait défaut : la relance urgente de la croissance demandée par les citoyens européens et dont plusieurs dirigeants soulignent d'ailleurs de plus en plus l'importance. Pourtant, à ce jour, aucune mesure cohérente et d'envergure n'a encore été prise en ce sens.


Une piste spécifique pour stimuler réellement la croissance européenne consisterait à accroître sensiblement la capacité de prêt de la Banque européenne d'investissement (BEI) en Europe, afin de lui permettre de financer de nouveaux investissements, surtout dans les pays touchés de plein fouet par la crise, mais aussi dans d'autres Etats membres. En stimulant directement ou indirectement les investissements destinés à restructurer ces économies par le biais de projets viables et à en améliorer la compétitivité, les prêts de la BEI pourraient avoir, à moyen terme, un impact positif sur l'offre ; à court terme, ils contribueraient également à accroître la demande globale dans tous les pays européens, au bénéfice de la croissance et de la création d'emplois.

Cette proposition présente un avantage réel : en s'appuyant sur l'effet de levier, elle permet d'avoir un impact majeur sur l'investissement, la croissance et l'emploi avec des ressources publiques relativement limitées. Autre avantage déterminant, les mesures peuvent être rapidement déployées puisque nous disposons déjà d'une institution compétente qui a fait ses preuves : la BEI.

Deux pistes prometteuses peuvent permettre d'utiliser des ressources publiques limitées pour réaliser un important effet multiplicateur. La première consiste à utiliser l'effet de levier du budget de l'UE. Une très petite somme (proportionnellement au budget européen) – 5 milliards d'euros par an – pourrait être réservée à titre de "coussin de risque". La BEI pourrait ainsi prêter chaque année 10 milliards d'euros supplémentaires, pour financer des projets d'infrastructure (project bonds) ainsi que des projets de promotion de l'innovation. Dans le cas des project bonds, 25 % des fonds affectés au projet seraient prêtés par un investisseur privé et la BEI financerait les 25 autres pour cent – avec une tranche mezzanine –, des fonds de pension et des compagnies d'assurance assurant la deuxième moitié. S'agissant de la tranche mezzanine, la contribution de l'UE financerait la moitié du risque supporté par la BEI. Dès lors, les 5 milliards d'euros dégagés du budget de l'UE – permettant un financement de 10 milliards via la BEI – mettraient à la disposition du financement de projets une enveloppe annuelle de 40 milliards d'euros.

La deuxième piste consiste à augmenter les fonds propres de la BEI en sollicitant les États membres. Seul un très faible pourcentage des fonds propres – 5 % – devrait être dans ce cas libéré. La contribution financière des États membres ne serait donc que de 11,6 milliards d'euros si le capital versé était multiplié par deux. Les agences de notation acceptent un levier de 8 pour maintenir la note AAA de la BEI. Dès lors, une augmentation des capitaux propres d'environ 12 milliards d'euros permettrait à la BEI d'augmenter sa capacité de prêt de 95 milliards d'euros, un effet multiplicateur impressionnant. Si ce montant de prêt était réparti sur les quatre prochaines années, la BEI pourrait prêter 10 milliards supplémentaires en 2012, 35 autres milliards en 2013 et encore 25 milliards par an, en 2014 et 2015. Comme la BEI cofinance généralement 50 % des projets, les 50 % restants étant assurés par le secteur privé ou d'autres acteurs, l'investissement supplémentaire s'élèverait à 190 milliards d'euros.

Ce programme de net renforcement des prêts de la BEI pourrait s'accompagner d'une mise à disposition de ressources supplémentaires au titre du budget de l'UE, notamment avec l'affectation, jusqu'à la fin 2013, des ressources non encore utilisées des Fonds structurels européens. D'autres fonds pourraient par ailleurs facilement être affectés à la croissance – de l'ordre de 25 milliards d'euros par an – également au titre du nouveau budget de l'UE, et ce à partir de 2014.
Au total, les ressources supplémentaires de la BEI et de l'UE affectées à la croissance pourraient atteindre 35 milliards d'euros en 2012 et grimper jusqu'à 60 milliards d'euros par an pour la période 2013-2015, soit environ 0,5 % du PIB annuel de l'UE. Comme ces ressources seraient affectées pour financer des investissements et augmenter les capitaux des petites et moyennes entreprises, cette approche permettrait d'avoir un impact majeur sur la croissance et l'emploi dans l'UE. Il est intéressant de constater que ces ressources, qui représentent au total près de 2 % du PIB européen en tenant compte de l'effet de levier, seraient similaires, quoique légèrement inférieures, à celles du Plan Marshall. Nous espérons qu'elles contribuent elles aussi dans une importante mesure à la relance d'une dynamique de croissance en Europe.

Il nous apparaît faisable et urgent de lancer un programme d'investissement fiable d'une telle envergure afin de donner une impulsion de croissance à l'Europe et lui insuffler ainsi une dynamique de relance.

Nous avons utilisé le modèle macro-économique international HEIMDAL pour estimer l'impact qu'un tel programme d'investissement pourrait avoir sur la croissance et l'emploi en Europe en 2013 et 2014. Nous nous fondons sur des hypothèses prudentes pour mesurer l'impact sur l'investissement, basées sur la moitié des ressources supplémentaires de la BEI et de l'UE en 2013 et les 2/3 en 2014. Nous partons également du principe que les pays les plus touchés par la crise (comme la Grèce, le Portugal, l'Espagne et l'Italie) recevront la part du lion de ces ressources.

Cet exercice de modélisation montre qu'un tel programme se traduirait par une augmentation du PIB moyen de l'UE de près de 0,6 % – au minimum – en deux ans. En outre, plus d'un million d'emplois seraient déjà créés en 2013, l'augmentation cumulée des emplois nouvellement créés dépassant 1,2 milliard en 2014. Les économies du Sud de l'Europe bénéficieraient d'un pourcentage plus élevé de cette hausse que la moyenne, même si des emplois seront créés dans toute l'Europe. En effet, l'effet cumulatif de l'augmentation des investissements ne se limitera pas aux économies domestiques mais se traduira également par une augmentation des échanges en Europe.

Ce chiffre ne tient pas compte de l'impact du renforcement des activités de prêt de la BEI – les banques commerciales fournissant ces capitaux si nécessaires à des petites et moyennes entreprises victimes des restrictions en matière de crédit, capitaux qui stabiliseront ou augmenteront l'emploi et les performances de manière tout à fait significative. Enfin, ce regain de confiance sera propice à une augmentation des investissements du secteur privé, dont il n'est pas non plus tenu compte ici.

C'est maintenant qu'il faut agir et poser les bases d'une relance de la croissance et de la création d'emplois en Europe. Dans nos propositions, nous présentons une méthode concrète, faisable et rentable pour y arriver. Il appartient aux dirigeants de l'UE, lors de leur prochain sommet, de prendre ces mesures ou des mesures similaires, avec la rapidité qu'exige cette situation difficile et en leur assurant une portée suffisante.


Stephany Griffith-Jones est directeur des marchés financiers pour Initiative Policy Dialogue (IPD), à l'Université de Columbia ;
Matthias Kollatz-Ahnen est l'ancien vice-président de la Banque européenne d'investissement (BEI) ;
Lars Andersen est directeur de l'Economic Council of the Labour Movement (ECLM)

Lire : l'intégralité de l'étude sur le site de la Fondation européenne d'études progressistes (FEPS)

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