Par BERNARD LAPONCHE Polytechnicien,
docteur ès sciences en physique des réacteurs nucléaires, expert en politiques
de l'énergie et de maîtrise de l'énergie - Libération - Le 24 Mars 2011
Le caractère mystérieux de l’énergie nucléaire et l’aura
scientifique qui l’entoure masquent pour beaucoup la réalité de son utilisation
dans les centrales nucléaires : il s’agit de chauffer de l’eau sous une
pression suffisante, ou de la faire bouillir, afin de produire de la vapeur
produisant à son tour de l’électricité grâce à un turboalternateur, comme dans
une chaudière à charbon. Un réacteur nucléaire est une chaudière dans laquelle
la chaleur, au lieu d’être produite par la combustion du charbon par exemple,
est produite par la fission des noyaux d’uranium 235 contenus dans le
combustible (des «crayons» d’uranium ou d’oxyde d’uranium).
La fission est en quelque sorte une explosion du noyau
d’uranium, provoquée par sa rencontre avec un neutron qui donne naissance à des
produits de fission, morceaux du noyau initial, et à quelques neutrons qui, à
leur tour, vont provoquer des fissions dans les noyaux voisins : c’est la
réaction en chaîne.
Ces produits de fission sont propulsés à grande vitesse par cette
explosion, provoquant la montée en température du combustible. Ils sont
instables et par conséquent fortement radioactifs, émettant des rayonnements
qui produisent à leur tour un réchauffement du combustible. L’entretien de la
réaction en chaîne dans le réacteur permet de chauffer l’eau ou de la faire
bouillir sous une pression suffisante pour produire de la vapeur permettant
ensuite de produire de l’électricité. Dans les réacteurs du type de ceux
équipant presque toutes les centrales nucléaires au monde, la chaleur du
combustible est évacuée par de l’eau (réacteurs à eau sous pression) ou par la
vapeur produite par l’ébullition de l’eau (réacteurs à eau bouillante).
Tout l’objet d’un réacteur nucléaire est donc de produire cette
chaleur. L’inconvénient est que cette production de chaleur est accompagnée de
la production de matières radioactives extrêmement dangereuses et l’objet de la
sûreté nucléaire est d’empêcher que ces matières radioactives s’échappent du
réacteur du fait d’un accident qui détruirait les protections du milieu
contenant les combustibles et dans lequel se produit la réaction en chaîne, le
«cœur» du réacteur.
En situation normale, par exemple, pour remplacer les
combustibles usés par des combustibles neufs, ou en situation d’alerte par rapport
à un accident possible pour une cause externe ou interne, on arrête la réaction
en chaîne grâce à des barres de contrôle dont le matériau absorbe les neutrons.
Mais, du fait de la chaleur que continuent à produire les produits de fission
radioactifs, il faut absolument continuer à refroidir les combustibles et donc
à faire circuler l’eau de refroidissement.
“quatre fervents supporteurs des centrales nucléaires ont écrit cette phrase terrible qui condamne à elle seule leur propre cause : « Il existera toujours et partout un scénario dans lequel une catastrophe comme celle de Fukushima pourra se produire. »”
L’accident le plus redouté est la perte du refroidissement, soit
du fait de défaillances techniques dans le fonctionnement des systèmes de sécurité
(accident de Three Mile Island aux Etats-Unis en 1979), soit du fait de la
perte d’alimentation électrique des pompes (défaillance du réseau, non
fonctionnement des diesels de secours, par exemple à cause d’une inondation ou
de la destruction de la salle des machines, accident de Fukushima au Japon). Si
le cœur du réacteur n’est pas refroidi, la chaleur résiduelle, qui reste
considérable, conduit à la détérioration du combustible qui peut aller jusqu’à
fondre, partiellement ou totalement. Du fait d’un enchaînement de
non-fonctionnements de certains dispositifs techniques, de la production
d’hydrogène, de fuites éventuelles, on arrive non seulement à la destruction
interne du réacteur mais aussi à la projection à l’extérieur de quantités plus
ou moins considérables de gaz et de matières radioactives.
Quel décalage effrayant entre le drame de Fukushima et l’objet
de ces réacteurs aujourd’hui en perdition : faire bouillir de l’eau.
Il existe de multiples moyens de faire chauffer ou
bouillir de l’eau et de produire de la vapeur à 300° (eau-vapeur dans un
réacteur à eau bouillante) ou de l’eau sous pression à 320° (eau dans un
réacteur à eau pressurisée), températures relativement basses, d’où le mauvais
rendement des centrales nucléaires. Par la combustion du charbon (peu
recommandée à cause des émissions de CO2) ou du gaz naturel (meilleur de ce point de vue du fait
de la cogénération produisant de la chaleur et de l’électricité ou du cycle
combiné, à haut rendement, pour la production d’électricité) mais aussi du
bois, des déchets végétaux et du biogaz. On peut aussi capter le rayonnement
solaire, concentré par des miroirs, pour produire de l’électricité (solaire
thermodynamique).
Il existe aussi de nombreux moyens de produire de l’électricité
sans faire bouillir de l’eau : hydraulique (barrages, fil de l’eau), éolien,
solaire photovoltaïque, solaire thermodynamique (concentration par miroirs des
rayons du soleil pour atteindre des températures suffisamment élevées),
géothermie à haute température, énergies marines (marémotrice, énergie des
vagues, hydroliennes utilisant les courants, énergie thermique des mers).
Certes, toutes ces techniques ne sont pas industriellement développées et
certaines restent plus chères que les centrales thermiques, mais aucune n’a
bénéficié des soutiens publics colossaux qui ont accompagné depuis l’origine le
développement de l’énergie nucléaire.
Toutes peuvent présenter certains risques
mais aucune ne présente le danger terrifiant, étalé dans le temps et dans
l’espace, de la catastrophe nucléaire.
On ne nous fera pas croire que l’ingéniosité humaine qui a su
maîtriser le feu il y a 400 000 ans et a inventé et développé depuis des
machines fort astucieuses (le vélo et le train sont parmi les plus
remarquables) n’est pas capable de développer rapidement et à grande échelle
l’utilisation de toutes ces énergies renouvelables. On peut donc se passer du
nucléaire, sans se priver d’électricité.
De plus, en particulier en France, la priorité qui s’impose,
tant pour des raisons de sécurité énergétique que de risque climatique, de
réduire les consommations d’énergie par la sobriété et l’efficacité
énergétiques s’impose aussi pour l’électricité : on peut, et il faut, réduire
sa consommation, dans les pays les plus riches et pour les populations les plus
riches.
Il y a quelques jours, dans un grand quotidien français, quatre
fervents supporteurs des centrales nucléaires ont écrit cette phrase terrible
qui condamne à elle seule leur propre cause : « Il existera toujours et partout un scénario dans lequel une
catastrophe comme celle de Fukushima pourra se produire. » Phrase au futur et non au conditionnel. Ainsi, il
faudrait que l’humanité s’habitue à de telles catastrophes, « de temps en temps » (tous les dix ans ?) tantôt dans un pays, tantôt dans
un autre, le rythme d’occurrence s’accroissant probablement avec le nombre des
pays qui choisiraient de construire des centrales nucléaires ?
En bien non ! Un tel futur est inacceptable. Nous préférons
construire et vivre un futur énergétique plus simple, plus sobre et plus
ensoleillé.
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