Physicien nucléaire, polytechnicien, Bernard Laponche est
formel : la France est dans l'erreur. Avec le nucléaire, elle s'obstine à
privilégier une énergie non seulement dangereuse mais obsolète. Alors que
d'autres solutions existent, grâce auxquelles les Allemands ont déjà commencé
leur transition énergétique.
Il est des leurs. Enfin, il était des leurs. Polytechnicien, physicien
nucléaire, Bernard Laponche a participé, dans les années 1960, au
sein du Commissariat à l'énergie atomique, à l'élaboration des premières
centrales françaises. La découverte des conditions de travail des salariés de
la Hague sera pour lui un choc : il prend conscience du danger de l'atome,
qu'il juge moralement inacceptable. Dès les années 1980, Bernard Laponche,
désormais militant au sein de la CFDT, prône la maîtrise de la consommation
énergétique et le développement des énergies renouvelables. Les décennies
suivantes lui ont donné raison. Mais la France, seul pays au monde à avoir
choisi l'option du tout-nucléaire, s'obstine dans l'erreur, déplore-t-il, et
s'aveugle : énergie du passé, sans innovation possible, le nucléaire ne
représente pas seulement une menace terrifiante, pour nous et pour les
générations qui suivront ; il condamne notre pays à rater le train de
l'indispensable révolution énergétique.
On présente toujours l'énergie nucléaire comme une technologie très
sophistiquée. Vous dites qu'il s'agit juste du « moyen le plus dangereux de
faire bouillir de l'eau chaude » (1). C'est provocateur, non ?
Pas vraiment... Un réacteur nucléaire n'est qu'une chaudière : il produit
de la chaleur. Mais au lieu que la chaleur, comme dans les centrales
thermiques, provienne de la combustion du charbon ou du gaz, elle est le
résultat de la fission de l'uranium. Cette chaleur, sous forme de vapeur d'eau,
entraîne une turbine qui produit de l'électricité. L'énergie nucléaire n'est
donc pas ce truc miraculeux qui verrait l'électricité « sortir » du réacteur,
comme s'il y avait une production presque spontanée...
Pourquoi cette image s'est-elle imposée ?
Les promoteurs du nucléaire ne tiennent pas à mettre en avant la matière
première, l'uranium. C'est lié au fait qu'à l'origine le nucléaire était
militaire, donc stratégique. Et puis en laissant penser que l'électricité est
produite directement, ils lui donnent un côté magique, ainsi qu'une puissance
trois fois plus élevée, car c'est la chaleur produite que l'on évalue, pas
l'électricité. Or les deux tiers de la chaleur sont perdus, ils réchauffent
l'eau des fleuves ou de la mer qui sert à refroidir les réacteurs.
Parlons donc du combustible...
Ce sont des crayons d'uranium, de l'uranium légèrement enrichi en isotope
235, pour les réacteurs français. La fission est une découverte récente (1938)
: un neutron tape un noyau d'uranium qui explose, produit des fragments, donc
de l'énergie, et des neutrons, qui vont taper d'autres noyaux – c'est la
réaction en chaîne. La multiplication des fissions produit de la chaleur. Or
les fragments de la fission sont de nouveaux produits radioactifs, qui émettent
des rayons alpha, bêta, gamma... A l'intérieur des réacteurs, vous produisez
donc de la chaleur, c'est le côté positif, mais aussi des produits radioactifs,
notamment du plutonium, le corps le plus dangereux qu'on puisse imaginer, qui
n'existe qu'à l'état de trace dans la nature. On aurait dû s'interroger dès
l'origine : ce moyen de produire de l'eau chaude est-il acceptable ?
Cette réaction en chaîne, on peut tout de même
l'arrêter à chaque instant, non ?
Dans un fonctionnement normal, on abaisse les barres de contrôle dans le
cœur du réacteur : elles sont constituées de matériaux qui absorbent les
neutrons, ce qui arrête la réaction en chaîne. Mais il faut continuer de
refroidir les réacteurs une fois arrêtés, car les produits radioactifs
continuent de produire de la chaleur. La nature même de la technique est donc
source de risques multiples : s'il y a une panne dans les barres de contrôle,
il y a un emballement de la réaction en chaîne, ce qui peut provoquer une
explosion nucléaire ; s'il y a une fissure dans le circuit d'eau, il y a perte
de refroidissement, la chaleur extrême détruit les gaines du combustible,
certains produits radioactifs s'échappent, on assiste à la formation
d'hydrogène, cet hydrogène entraîne des matières radioactives et peut exploser.
“Puisque le point de départ, c'est la création
de produits radioactifs en grande quantité, la catastrophe est intrinsèque à la technique. Le réacteur fabrique les moyens de sa propre destruction.”
Mais on multiplie les systèmes de protection...
Vous avez beau les multiplier, il y a toujours des situations dans
lesquelles ces protections ne tiennent pas. A Tchernobyl, on a invoqué, à juste
titre, un défaut du réacteur et une erreur d'expérimentation ; à Fukushima,
l'inondation causée par le tsunami. Au Blayais, en Gironde, où la centrale a
été inondée et où on a frôlé un accident majeur, on n'avait pas prévu la
tempête de 1999. Mais on a vu des accidents sans tsunami ni inondation, comme à Three Mile
Island, aux Etats-Unis, en 1979. On peut aussi imaginer, dans de nombreux pays,
un conflit armé, un sabotage... Puisque le point de départ, c'est la création
de produits radioactifs en grande quantité, la catastrophe est intrinsèque à la
technique. Le réacteur fabrique les moyens de sa propre destruction.
Y a-t-il eu des innovations en matière nucléaire ?
Aucun progrès technologique majeur dans le nucléaire depuis sa naissance,
dans les années 1940 et 1950. Les réacteurs actuels en France sont les moteurs
des sous-marins atomiques américains des années 1950. En plus gros. Les
réacteurs, l'enrichissement de l'uranium et le retraitement, sont des
technologies héritées de la Seconde Guerre mondiale. On a juste augmenté la
puissance et ajouté des protections. Mais parce que le système est de plus en
plus compliqué, on s'aperçoit que ces protections ne renforcent pas toujours la
sûreté.
On a du mal à croire qu'il n'y ait eu aucune
innovation majeure...
Si, le surgénérateur ! Avec Superphénix, on changeait de modèle de
réacteur. Et heureusement qu'on l'a arrêté en 1998, car il était basé sur
l'utilisation du plutonium. Le plutonium est un million de fois plus radioactif
que l'uranium. Comment a-t-on pu imaginer faire d'un matériau aussi dangereux
le combustible d'une filière de réacteurs exportable dans le monde entier ?
Nicolas Sarkozy affirme que si l'on refuse le
nucléaire, on doit accepter de s'éclairer à la bougie. Qu'en pensez-vous ?
Il est lassant d'entendre des dirigeants qui n'y connaissent rien continuer
à dire n'importe quoi. Nicolas Sarkozy ne croit pas si bien dire ; un jour, et
pourquoi pas dès cet été, les Français s'éclaireront à la bougie : comme nous
sommes le seul pays au monde à avoir choisi de produire 80 % de notre
électricité avec une seule source, le nucléaire, et une seule technique, le
réacteur à eau pressurisée, si nous sommes contraints d'arrêter nos réacteurs,
nous retournerons à la bougie ! Pas besoin d'une catastrophe, juste un gros
pépin générique, ou une sécheresse et une canicule exceptionnelles. Car on
ne peut pas faire bouillir l'eau des rivières. En revanche, si l'on décidait de
sortir du nucléaire en vingt ans, on pourrait démultiplier notre inventivité
énergétique pour justement éviter la bougie.
Les défenseurs du nucléaire disent qu'en France, avec
notre nouveau réacteur, l'EPR, que l'on construit à Flamanville, on arrive à un
risque quasi nul...
Chaque pays assure que ses réacteurs sont mieux que les autres. Avant
Fukushima, le discours des Japonais était le même que celui des Français. On en
est déjà à cinq réacteurs détruits (Three Mile Island, Tchernobyl, et
trois réacteurs à Fukushima) sur quatre cent cinquante réacteurs dans le monde,
des centaines de kilomètres carrés inhabitables. La probabilité théorique,
selon les experts de la sûreté nucléaire, devait être de un pour cent mille «
années-réacteur » [une année-réacteur, c'est un réacteur fonctionnant pendant un
an, NDLR], voire un million d'années-réacteur pour un accident majeur, type
Tchernobyl ! La réalité de ce qui a été constaté est trois cents fois
supérieure à ces savants calculs. Il y a donc une forte probabilité d'un
accident nucléaire majeur en Europe.
Une innovation majeure pourrait-elle vous conduire à
revoir votre jugement ?
Je ne vois pas de solution dans l'état actuel, non pas de l'ingénierie,
mais de la connaissance scientifique. Je ne dis pas qu'un jour un savant ne
trouvera pas un moyen d'utiliser l'énergie de liaison des noyaux de façon
astucieuse, qui ne crée pas ces montagnes de produits radioactifs. Mais pour le
moment, il n'y a pas !
Pourquoi vous opposez-vous à Iter, expérience sur
la fusion menée à Cadarache, sous l'égide de l'Agence internationale de
l'énergie atomique (AIEA) ?
La fusion, c'est l'inverse de la fission. On soude deux petits noyaux, deux
isotopes de l'hydrogène, le deutérium (un proton et un neutron) et le tritium
(un proton et deux neutrons), et cette soudure dégage de l'énergie. Mais il
faut arriver à les souder, ces noyaux ! Dans le Soleil, ils se soudent du fait
de la gravitation. Sur Terre, on peut utiliser une bombe atomique, ça marche
très bien. L'explosion provoque la fusion des deux noyaux, qui provoque une
seconde explosion beaucoup plus forte : c'est la bombe à hydrogène, la bombe H.
Pour une fusion sans bombe, il faut créer des champs magnétiques colossaux afin
d'atteindre des températures de cent millions de degrés. Iter, à l'origine
un projet soviétique, est une expérience de laboratoire à une échelle
pharaonique, des neutrons extrêmement puissants bombardent les parois en acier
du réacteur, ces matériaux deviennent radioactifs et doivent d'ailleurs être
remplacés très souvent. Je ne suis pas spécialiste de la fusion, mais je me
souviens que nos deux derniers Prix Nobel français de physique, Pierre-Gilles
de Gennes et Georges Charpak, avaient dit qu'Iter n'était pas une bonne
idée. Ils prônaient les recherches fondamentales avant de construire cet énorme
bazar. Personne n'a tenu compte de leur avis, et nos politiques se sont
précipités, sur des arguments de pure communication – on refait l'énergie du
Soleil – pour qu'Iter se fasse en France.
Pourquoi ?
Parce que les Français
veulent être les champions du nucléaire dans le monde. Les Japonais voulaient Iter,
mais leur Prix Nobel de physique Masatoshi Koshiba a dit « pas
question », à cause du risque sismique. Je pense que ce projet va s'arrêter
parce que son prix augmente de façon exponentielle. Et personne ne s'est posé
la question : si jamais ça marchait ? Que serait un réacteur à fusion ? Comme
disent les gens de l'association négaWatt, pourquoi vouloir recréer sur
Terre l'énergie du Soleil puisqu'elle nous arrive en grande quantité ?
Que répondez-vous à ceux qui pensent que l'impératif
du réchauffement climatique, donc la nécessaire réduction des émissions de CO2,
nous impose d'en passer par le nucléaire ?
Tout d'abord, on ne peut pas faire des émissions de CO2 le seul critère de
choix entre les techniques de production d'électricité. Faut-il accepter qu'au
nom du climat, tous les cinq ou dix ans, un accident de type Fukushima se
produise quelque part dans le monde ? Ensuite, l'Agence internationale de
l'énergie (AIE) a montré que si l'on voulait tenir nos objectifs de réduction
des émissions de CO2, la moitié de l'effort devait porter sur les économies
d'énergie. Pour l'autre moitié, le recours aux énergies renouvelables est
essentiel, la part du nucléaire n'en représentant que 6 %. Il faut donc
relativiser l'avantage du nucléaire.
“Comme on a fait trop de centrales, il y a eu
pression pour la consommation d'électricité,
en particulier pour son usage le plus imbécile, le
chauffage, pour lequel la France est championne.”
Vous avez commencé votre carrière au CEA et avez été
un artisan de cette énergie. Que s'est-il passé ?
J'ai même fait une thèse sur le plutonium, et je ne me posais aucune
question. Tout est très compartimenté au CEA, je faisais mes calculs sur la
centrale EDF 3 de Chinon, n'avais aucune idée des risques d'accident ni du
problème des déchets. Je travaillais avec des gens brillants. Et puis j'ai
commencé à militer à la CFDT, après 68, et on s'est intéressé aux conditions de
travail des travailleurs de la Hague. Je me suis aperçu que, moi, ingénieur
dans mon bureau, je ne connaissais rien de leurs conditions de travail, et que
les gens de la Hague ne savaient pas ce qu'était un réacteur nucléaire. On a
donc écrit, en 1975, un bouquin collectif qui a été un best-seller, L'Electronucléaire
en France. Le patron du CEA de l'époque a d'ailleurs reconnu la qualité de
ce travail. Pour cela, j'ai travaillé pendant six mois à partir de documents
américains, parce qu'en France il n'y avait rien. La CFDT a alors pris position
contre le programme nucléaire. J'ai commencé à travailler sur les alternatives
au nucléaire et, en 1982, je suis entré à l'Agence française pour la maîtrise
de l'énergie.
Cela fait trente ans... Que prôniez-vous à l'époque ?
Mais la même chose qu'aujourd'hui : économies d'énergie et énergies renouvelables
! Les principes de l'électricité photovoltaïque, donc des panneaux solaires,
étaient déjà connus. Aujourd'hui, on ne parle que de l'électricité, mais ce
qu'il faudrait d'abord installer partout, c'est des chauffe-eau solaires ! Rien
de plus simple : un fluide caloporteur circule dans un tube sous un panneau
vitré, et permet d'obtenir de l'eau à 60 degrés. L'Allemagne, pays moins
ensoleillé que la France, a dix fois plus de chauffe-eau solaires.
Dans le Midi, il n'y en a pas, ou si peu !
Cela ne demande pas beaucoup d'innovation...
L'innovation permet avant tout de réduire les coûts. L'éolien, sa
compétitivité face au nucléaire est acquise. En ce qui concerne le
photovoltaïque, les Allemands anticipent des coûts en baisse de 5 % chaque
année. Il y a beaucoup de recherches à faire sur les énergies marines, les
courants, l'énergie des vagues, la chaleur de la terre avec la géothermie. Les
énergies renouvelables, sous un mot collectif, sont très différentes, et
peuvent couvrir à peu près tous les besoins énergétiques. Les Allemands
estiment qu'elles couvriront 80 % des leurs d'ici à 2050. C'est plus que
crédible, à condition de toujours rechercher les économies d'énergie.
Le fait qu'on ait produit de l'électricité à partir du
nucléaire à un coût modique, ne prenant pas en compte les coûts du
démantèlement et de la gestion à long terme des déchets radioactifs, a-t-il
pénalisé les énergies renouvelables ?
Oui, et comme on a fait trop de centrales nucléaires, il y a toujours eu
pression pour la consommation d'électricité, et en particulier pour son usage
le plus imbécile, le chauffage électrique, pour lequel la France est championne
d'Europe. On construit des logements médiocres, l'installation de convecteurs
ne coûte rien, cela crée du coup un problème de puissance électrique globale :
en Europe, la différence entre la consommation moyenne et la pointe hivernale
est due pour moitié à la France ! Résultat, l'hiver, nous devons acheter de
l'électricité à l'Allemagne, qui produit cette électricité avec du charbon…
Hors chauffage, les Français consomment encore 25 % de plus d'électricité par
habitant que les Allemands. Qui n'ont pas seulement des maisons mieux isolées,
mais aussi des appareils électroménagers plus efficaces, et qui font plus
attention, car l'électricité est un peu plus chère chez eux.
“Les Allemands étudient des réseaux
qui combinent biomasse, hydraulique, éolien,
photovoltaïque. Ils réussissent la transition
énergétique. Parce qu'ils l'ont décidée.”
Quelles sont les grandes innovations à venir en
matière d'énergie ?
Les « smart grids », les réseaux intelligents ! Grâce à
l'informatique, on peut optimiser la production et la distribution
d'électricité. A l'échelle d'un village, d'une ville ou d'un département, vous
pilotez la consommation, vous pouvez faire en sorte, par exemple, que tous les
réfrigérateurs ne démarrent pas en même temps. Les défenseurs du nucléaire
mettent toujours en avant le fait que les énergies renouvelables sont
fluctuantes – le vent ne souffle pas toujours, il n'y a pas toujours du soleil
– pour asséner que si l'on supprime le nucléaire, il faudra tant de millions
d'éoliennes... Mais tout change si l'on raisonne en termes de combinaisons !
Les Allemands étudient des réseaux qui combinent biomasse, hydraulique, éolien,
photovoltaïque. Et ils travaillent sur la demande : la demande la nuit est plus
faible, donc avec l'éolien, la nuit, on pompe l'eau qui va réalimenter un
barrage qui fonctionnera pour la pointe de jour... C'est cela, la grande
innovation de la transition énergétique, et elle est totalement opposée à un
gros système centralisé comme le nucléaire. Le système du futur ? Un
territoire, avec des compteurs intelligents, qui font la jonction parfaite
entre consommation et production locale. Small is beautiful. Les
Allemands réussissent en ce moment cette transition énergétique. Parce qu'ils
l'ont décidée. C'est cela, le principal : il faut prendre la décision. Cela
suppose une vraie prise de conscience.
Comment expliquez-vous l'inconscience française ?
Par l'arrogance du Corps des ingénieurs des Mines, d'une part, et la
servilité des politiques, de l'autre. Une petite caste techno-bureaucratique a
gouverné les questions énergétiques depuis toujours, puisque ce sont eux qui
tenaient les Charbonnages, puis le pétrole, et ensuite le nucléaire. Ils ont
toujours poussé jusqu'à l'extrême, et imposé aux politiques, la manie
mono-énergétique.
Cela vient de notre pouvoir centralisé ?
Complètement ! Dans les années 1970, un chercheur suédois a écrit une étude
sur le fait que le nucléaire marche dans certains pays et pas dans d'autres. Et
il en a conclu qu'une structure politico-administrative autoritaire et
centralisée avait permis qu'il se développe dans deux pays : l'URSS et la
France. Pour de fausses raisons – indépendance énergétique, puissance de la
France –, on maintient le lien entre le nucléaire civil et militaire – le CEA a
une branche applications militaires, Areva fournit du plutonium à l'armée. Ce
complexe militaro-étatico-industriel fait qu'ici on considère madame Merkel comme
une folle. Au lieu de se dire que si les Allemands font autrement, on pourrait
peut-être regarder… Non, on décide que les Allemands sont des cons. Nos
responsables claironnent qu'on a les réacteurs les plus sûrs, que le nucléaire
c'est l'avenir, et qu'on va en vendre partout. C'est l'argument qu'on utilise
depuis toujours, et on a vendu péniblement neuf réacteurs en cinquante ans,
plus les deux qui sont en construction en Chine. Ce n'est pas ce qui était prévu…
En dix ans, les Allemands, eux, ont créé près de 400 000 emplois dans les
énergies renouvelables.
En dehors des écologistes, personne, y compris à
gauche, ne remet en cause le nucléaire...
Les choses évoluent vite. Fukushima ébranle les pro-nucléaire
honnêtes. Je pense que la décision allemande aura une influence, pas sur nos
dirigeants actuels, mais sur nos industriels et aussi sur les financiers. Ils
doivent se dire : vais-je continuer à mettre mes billes dans un truc comme ça ?
Il y avait jadis l'alliance Areva-Siemens pour proposer des réacteurs EPR, mais
Siemens en est sorti depuis des années. On peut toujours se rassurer en pensant
que les Allemands se trompent, mais on peut difficilement soutenir qu'ils aient
fait ces dernières décennies de mauvais choix et que leur industrie soit
faiblarde...
Les écologistes peuvent-ils peser sur les socialistes
?
Bien sûr. Déjà, en 2000, tout était prêt pour l'EPR,
mais Dominique Voynet, ministre de l'Environnement, a dit à Lionel Jospin : «
Si tu fais l'EPR, je démissionne. » C'est la seule fois où elle a mis sa
démission dans la balance et l'EPR ne s'est pas fait à l'époque. Je travaillais
auprès d'elle comme conseiller sur ces questions, j'ai pondu trois cent
cinquante notes. Il y avait une bagarre quotidienne entre le ministère de
l'Environnement et le ministère de l'Industrie, qui se moquait complètement de
la sécurité. Malheureusement, l'EPR est reparti avec Chirac en 2002. Et il va
nous coûter très cher. En un demi-siècle, on a gaspillé l'énergie, on a fait
n'importe quoi. Il est urgent de choisir une civilisation énergétique qui ne
menace pas la vie.
Propos recueillis par
Vincent Remy
(1) Titre d'une contribution dans les pages Rebonds de « Libération
» (24 mars 2011).
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