samedi 1 juin 2013

Chômage de masse : cette vérité qui dérange

Par Frédéric Lutaud Membre du Bureau national du Parti socialiste

Voici deux graphiques que tous les économistes devraient avoir en tête en permanence :
Le premier représente la croissance du PIB depuis 1950, l’autre, l’évolution du volume global d’heures travaillées sur la même période. La démonstration est imparable : malgré une multiplication par 10 de la richesse produite, le nombre total d'heures travaillées a chuté sur la même période de près de 10%. Autrement dit, la croissance n’a pas créé un supplément de travail, au contraire, elle s'est accompagnée d'un recul du travail humain nécessaire à l'activité économique.

Le nombre d’emplois a malgré tout augmenté en France depuis les années 1950. Si le volume de travail a diminué, il a été réparti sur plus d’actifs. Comme le montre le graphique suivant, jusqu’aux années 1970, la réduction du temps de travail a généré une création d’emploi suffisante pour maintenir le plein-emploi.
Malheureusement, on constate que par la suite toutes les diminutions du temps de travail sont restées insuffisantes pour contenir la montée du chômage. La décennie noire 1974-84 est représentative de ce phénomène avec une productivité horaire qui progresse à un rythme soutenu (+3,3 %) et sa population active en augmentation (+0,7%). Un décalage s’installe entre l’offre et la demande d’emploi. Par conséquent, il apparaît indispensable et urgent de poursuivre la réduction de la durée légale du temps de travail pour vaincre le chômage de masse.



Une croissance soutenue ne sera jamais la solution à la crise de l’emploi puisque celle-ci s’accompagne d’une érosion du travail clairement constatée depuis un demi-siècle. Certes, on observe sur la période 1997-2008 une augmentation de 6% du volume d'heures travaillées qui décline depuis la crise. Il ne faut pas pour autant se laisser abuser par un regain de croissance autour de 2,5% qui provoque un appel d’air momentané sur le marché du travail :
- D'abord, parce que l'intégralité du supplément d'emploi créé sur cette période correspond à des emplois à temps partiel, de l'intérim ou des emplois aidés et non pas à des CDI. Ce sont les entreprises elles-mêmes qui ont recours à la diminution du temps de travail, mais de façon anarchique. 
- Ensuite, parce que la création d'emploi constatée est liée à une croissance supérieure à la productivité, mais l'appareil productif finit par être rattrapé par les gains de productivité. Les entreprises comme les services publics investissent, améliorent leur organisation du travail et renouvellent leurs équipements, encouragées par un contexte de compétitivité et de révolution technologique. Ainsi, la société toute entière économise de la main-d’œuvre et les nouveaux emplois ne compensent pas les emplois détruits. Au final, la croissance crée moins d’emplois qu’elle n’en supprime. 
Pour s’en convaincre, il suffit  de  considérer la dimension "collaborative" atteinte par notre société et nos entreprises. Avec elle, nombre de tâches intermédiaires, d’emplois rémunérés, vont disparaître. Mais tout aussi bien avec la robotique avancée, qui aura un effet massif sur la productivité. Les experts McKinsey estiment à 6 300 milliards de dollars (4 900 milliards d'euros), soit la masse salariale totale du travail manuel remplacé par ces machines dans leur rapport sur les technologies dites de rupture qui vont se déployer d’ici à 2025. Selon eux, des déplacements majeurs auront lieu entre entreprises, et pas seulement dans l'industrie manufacturière. 230 millions de travailleurs "intellectuels" vont être concernés par l'automatisation de la connaissance.
Bref, à l’heure où l’on parle de "troisième économie", nous devons prévoir un nouveau déclin majeur du volume d'heures travaillées avec l'arrivée à maturité de nos infrastructures informatiques (internet haut débit et mobil) et de nos savoir-faire technologiques. C'est du moins ce que prévoient de nombreux économistes qui ne font que confirmer cette tendance lourde à l'œuvre depuis la première révolution industrielle.

            Alors pourquoi répéter sur tous les médias que la croissance et la compétitivité vont inverser la courbe du chômage alors qu’un demi-siècle de croissance démontre le contraire ? Cet aveuglement dans une économie où le chômage de masse atteint des proportions désastreuses ne peut déboucher que sur un drame social.

La diminution du temps de travail ne devrait poser aucun problème dans une France où la création de richesses a augmenté de 1000% tandis que la population active n'a crû que de 40% sur la même période. Il suffirait de répartir équitablement les considérables gains de productivité réalisés depuis les trente glorieuses en ajustant la durée du travail et en augmentant significativement les salaires pour renouer avec le plein-emploi et maintenir un marché intérieur prospère. Mais ce sont les dividendes versés aux actionnaires qui ont capté l’essentiel des richesses en passant de 4% en 1982 à 12% en 2007.


En Espagne, le président de la commission du budget a déclaré que « seule une semaine de 32 heures en quatre jours peut obliger les entreprises à créer des emplois ». En Belgique le nouveau Président du PS et les deux plus grands syndicats du pays font de la réduction collective du temps de travail un objectif fondamental. En Allemagne, un appel a été lancé par de nombreux économistes, syndicalistes, universitaires, pour mettre en place la semaine de 30 h et la principale branche de la DGB, Verdi demande en Bade-Wurtemberg une baisse de la durée du travail à 30 heures. Sans oublier la Confédération Européenne des Syndicats qui se prononce ouvertement pour la réduction du temps de travail.
La semaine de 4 jours est la condition indispensable pour espérer un rééquilibrage du marché du travail et échapper au fléau du chômage de masse.



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