“ne plus dépendre des énergies fossiles, se passer du nucléaire, tout en préservant son mode de vie actuel”
UN AVENIR ÉNERGÉTIQUE BASTA! - PAR IVAN DU ROY (30 SEPTEMBRE 2011)
UN AVENIR ÉNERGÉTIQUE BASTA! - PAR IVAN DU ROY (30 SEPTEMBRE 2011)
Baisser nos émissions de CO2, créer plusieurs centaines de
milliers d’emplois, sortir du nucléaire en deux décennies, alléger la facture
énergétique de l’État et des ménages… Le tout, sans changer radicalement nos
modes de vie. Tel est le réjouissant programme que propose l’association
négaWatt dans son « scénario 2011 », qui vient d’être rendu public.
Un scénario énergétique tout a fait réalisable… à condition que citoyens et
politiques s’en saisissent.
C’est plus qu’un scénario, c’est un programme politique.
D’ailleurs sa conclusion a tout d’un slogan de campagne : « Rendre
possible ce qui est souhaitable. » Pourtant, l’association négaWatt se
garde bien de tout positionnement partisan. Elle vient de livrer au débat
public son « scénario négaWatt 2011 » : la trajectoire que la
France devra suivre si elle souhaite réduire ses émissions de CO2, ne plus
dépendre des énergies fossiles, se passer du nucléaire, tout en préservant son
mode de vie actuel. C’est aussi « le seul vrai programme qui existe pour
les trente prochaines années et qui permette une réindustrialisation de la
France. Une machine à faire rêver à partir de choses concrètes », assène
Marc Jedliczka, porte-parole de l’association. Et c’est le cas.
L’Association négaWatt
s’est créée en 2001. Elle regroupe des praticiens de l’énergie, des ingénieurs,
des urbanistes et des sociologues. Face aux enjeux du réchauffement climatique
et de l’épuisement progressif des ressources pétrolières, elle publie un
premier scénario de transition énergétique en 2003, puis un deuxième en 2006.
Cinq ans plus tard, voici son nouveau cru, dans un contexte d’urgence
grandissante. Le Grenelle de l’environnement a accouché d’une souris. Les
émissions de CO2 continuent de s’accumuler dans l’atmosphère. La question de la
sûreté du nucléaire se pose encore plus crûment. La facture énergétique pèse
lourdement sur le budget de l’État et celui des ménages.
Quatorze mois de travail, et la mobilisation d’une vingtaine
de chercheurs de l’association, ont été nécessaires pour boucler le document.
Trois grands axes sont développés : la sobriété, ce que chacun,
individuellement, peut faire pour réduire sa consommation ; l’efficacité,
comment éviter la déperdition d’énergie ; et une fois ces besoins définis,
la production nécessaire pour y répondre, qui s’appuie très largement sur les
énergies renouvelables. Le résultat : un scénario modélisé heure par heure
jusqu’en 2050 pour mesurer les besoins en énergie à partir de multiples
contraintes et répondre à toutes les hypothèses (que se passerait-il aux heures
de pointe de consommation, si, faute de vent, les éoliennes ne tournent
plus ?). Les scénaristes ont aussi prévu l’accroissement démographique de
la France : en 2050, ce sont 72 millions d’habitants qui devront se
chauffer, s’éclairer et se déplacer.
Le méthane « renouvelable » : le carburant du
futur
À quoi donc ressemblera la France du futur à l’horizon
2050 ? Les villes seront plus denses, pour limiter l’étalement urbain, et
raccourcir les distances. Pour se rendre à son « centre partagé de
télétravail », on utilisera principalement les transports en commun, une
petite voiture électrique, un vélo, ou même un taxi collectif. Aujourd’hui, « un
véhicule qui pèse 1 650 kg pour transporter une personne de
70 kg à 25 km/h en moyenne en ville, est-ce vraiment
adapté ? », interrogent les scénaristes. Pour les parcours plus
longs, les berlines familiales ou les camions rouleront au « GNV »
(gaz naturel pour véhicule).
Ce gaz ne sera plus importé de Russie ou d’ailleurs, mais
fabriqué localement grâce à plusieurs procédés de méthanisation techniquement
déjà au point. Du biogaz peut être obtenu par fermentation bactérienne. La
biomasse – ensemble des matières organiques d’origine végétale ou
animale – peut être transformée en méthane. Enfin, un procédé de
méthanisation par mélange d’hydrogène et de CO2 est envisagé pour reconvertir
les émissions de CO2 de l’industrie [1]. Le méthane deviendrait ainsi
« le carburant du futur » : « Une molécule stockable pour
tous les usages du gaz », profitant du réseau gazier existant, et
remplaçant presque totalement le pétrole, réservé au kérosène des avions ou à
certains moteurs à combustion. Résultat : l’énergie dépensée pour se
déplacer sera réduite de plus de la moitié, sans altérer les besoins de
mobilité.
Rénovation active pour maisons passives
Autre « gisement considérable » d’économie
d’énergie : les bâtiments. La chaleur – chauffage, climatisation, eau
chaude et cuisson – représente le gros morceau : 40 % de notre
consommation d’énergie actuellement. Elle dépend, là encore, majoritairement
des énergies fossiles, en particulier le gaz [2], et à 15 % de
l’uranium, via les radiateurs électriques. Si la biomasse, tel le chauffage au
bois, tend à se développer, elle demeure encore moins utilisée que la fission
nucléaire. Pour sortir de cette dépendance, les maisons de demain seront bien
mieux isolées. Elles consommeront en moyenne 40 kWh par m2 contre quatre
fois plus aujourd’hui. Les maisons passives peuvent même descendre sous les
15 kWh par m2, comme le démontre l’expérience des éco-quartiers ou les habitations haute qualité
environnementale (HQE). Reste que cela signifie un titanesque
programme de rénovation des logements existants.
« Après une période nécessaire à la montée en puissance
de ce programme, ce sont à terme 750 000 logements (…) qui sont
concernés chaque année. » Mission impossible ? Il existe bien « une
obligation de ravalement des façades et une obligation de rénovation des
ascenseurs, pourquoi ne le fait-on pas pour l’isolation ? », se
demande Thierry Salomon, président de négaWatt. En quarante ans, la rénovation
de l’ancien et des critères stricts de construction pour le neuf aboutiraient à
réduire de plus de la moitié notre consommation en chaleur.
Sortir du nucléaire en 22 ans
Autre gros usage énergétique, après la mobilité et la
chaleur : l’électricité. Cela rassemble tous les besoins en éclairage, en
électroménager, en informatique (hors chauffage électrique)… Elle ne représente
que 15 % des usages finaux en énergie. La production d’électricité repose
principalement sur le nucléaire et l’uranium. Mais le rendement des centrales
est assez médiocre. Seul un tiers de l’énergie produite arrive chez les
consommateurs, le reste sert à alimenter le fonctionnement des centrales ou est
tout simplement perdu (la chaleur qui passe dans les rivières après le
refroidissement des réacteurs, par exemple). Un gâchis considérable.
Pour ne plus faire courir le risque radioactif aux
générations futures, les scénaristes plaident pour une fermeture progressive du
parc nucléaire français. D’autant que, sauf à prolonger la durée de vie des
centrales au-delà de 40 ans, avec toutes les questions de sûreté et
de surcoût que cela supposent, 80 % des réacteurs français (entrés en
service entre 1977 et 1987) devront fermer. Plutôt que de construire
10 nouveaux réacteurs EPR, négaWatt propose la montée en puissance des
énergies renouvelables. L’éolien, le photovoltaïque ou les énergies marines,
adossés à l’hydraulique, suffiront à pourvoir nos besoins en électricité. Avec
quelques centrales au gaz naturel comme « variable d’ajustement »
pour l’ensemble des usages énergétiques.
Cette politique énergétique quasi idéale est-elle réalisable ?
« Les règles économiques actuelles ne nous emmènent pas vers une
trajectoire soutenable », rappelle Yves Marignac, en charge du dossier
nucléaire à négaWatt. Car les coûts les plus compétitifs aujourd’hui ne le
seront pas forcément demain. Le prix des énergies fossiles, intégralement
importées, ne cessera d’augmenter. Le prix du baril a déjà été multiplié par 3
en moins de dix ans. Le coût du nucléaire également : la mise à niveau des
centrales existantes après l’accident de Fukushima nécessite environ un
milliard d’euros par réacteur. Si le choix du nucléaire se poursuit, les
investissements seront considérables. La facture de l’EPR de Flamanville
dépasse déjà les 5 milliards. Sans oublier le coût du démantèlement des
réacteurs vieillissants ou le recyclage de déchets radioactifs.
Au moins 600 000 emplois créés d’ici à 2020
Baisser progressivement les importations d’hydrocarbures et
ne plus investir des dizaines de milliards dans le nucléaire permettront de
dégager des ressources considérables. Si, par exemple, 25 milliards
d’euros sont économisées chaque année sur les importations d’or noir et de gaz,
en 2050, cela représentera une économie de 750 milliards ! NégaWatt
propose par ailleurs la mise en place d’une « contribution sur l’énergie
primaire et les externalités environnementales », calculée en fonction des
impacts des différentes sources d’énergie, ou la généralisation du principe de
bonus-malus sur tous les biens d’équipements (l’association était déjà à
l’origine de l’idée du bonus-malus sur les voitures). De quoi investir dans le
programme de rénovation du bâti, le développement de filières renouvelables de
plus en plus compétitives et la lutte contre la précarité énergétique. Cette
transition crée des emplois : 600 000 d’ici à 2020 estime pour
l’instant l’association. Et réduit la facture énergétique des ménages. Le bilan
carbone est largement positif : les émissions françaises de CO2 seront
ainsi divisées par 2 d’ici à 2020, par 16 en 2050 ! Bref, le bénéfice
est grand.
Quelques obstacles demeurent, et non des moindres. La
volonté politique d’abord. On a vu l’incapacité du gouvernement et de l’UMP à
traiter sérieusement ces défis. Le scénario négaWatt devrait largement irriguer
la réflexion d’Europe Écologie-Les verts et du Parti de gauche. Les conseillers
de Martine Aubry semblent s’y intéresser. Une telle transition signifie
également que les collectivités territoriales puissent jouer leur rôle dans ce
nouveau maillage énergétique et urbain. Des élus et des ministres convaincus
devront donc se confronter à la vision centralisatrice du puissant Corps des
mines, élite de la haute administration française. Surtout, la
« trajectoire » imaginée par négaWatt remet fondamentalement en cause
le poids actuel des gros opérateurs ou des multinationales pétrolières. Car
Areva, EDF, GDF-Suez ou Total verront leurs profits – et donc leur raison
d’être – s’envoler. Pas sûr qu’ils y soient résolus.
Ivan du Roy
Notes
[1] Ce procédé a été élaboré au début du XXe siècle par
le prix Nobel de chimie Paul Sabatier.
[2] gaz à 44 %, fuel à 17 %, charbon à 3 %.
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